Après avoir été suspendue en juillet par l’affaire Benalla, la révision constitutionnelle qui devait reprendre en janvier prochain a de nouveau été reportée suite aux manifestations des Gilets Jaunes.
C’est donc le temps du « Grand débat » qui devrait avoir lieu de janvier à mars 2019. Sur les 4 thèmes définis en conseil des ministres du 12 décembre, 2 ont des impacts directs sur les institutions :
La démocratie et la citoyenneté : Comment mieux associer les citoyens à la prise de décision ? Comment mieux représenter les sensibilités ? Comment répondre aux questions des Français sur l’immigration ? Comment mieux vivre ensemble et mener une politique d’intégration plus efficace et plus juste ?
L’organisation de l’Etat et des services publics : Comment organisons-nous leur présence sur le territoire national dans un monde et dans une France qui changent ; dans une France où les mouvements de populations n’ont jamais été aussi massifs depuis 20 ou 30 ans. Comment prendre en compte la révolution numérique dans cette organisation ? Comment lutter contre le réflexe de la concentration ?
Pour voir ce qui s’est passé lors des trois précédents actes de cette révision constitutionnelle, vous pouvez consulter :
L’organisation du débat commence mal, après son annonce en conseil des ministres où son organisation a été confiée à la commission nationale du débat public (CNDP), celle ci a écrit à l’exécutif pour le mettre en garde contre toute envie de manipulation :
« Il est primordial de ne jamais laisser entendre que le gouvernement pilote directement ou indirectement », la commission « veillera à ce que les réunions du « grand débat » ne soient en aucun cas » des « meetings politiques », ni pour le gouvernement, ni pour la majorité"
Plusieurs membres de la CNDP estiment que si l’exécutif ne respecte pas son indépendance, la CNDP doit se retirer du jeu.
Vu la volonté de l’exécutif pour retirer du pouvoir au législatif, c’est clair que ce dernier ne va pas laisser passer l’occasion de le reprendre .Mais la question reste de savoir quel pouvoir sera finalement concédé au peuple. Il y a un risque pour que les catégories politiques volent en éclat quand chaque représentant va tenter de se positionner sur que qu’il pense être la meilleure place pour son avenir.
La proposition de la France insoumise est peu recommandable:
« Les conditions d’application des précédents alinéas sont fixées par une loi organique, les pourcentages sus-mentionnés ne pouvant être supérieurs à deux pour cent, et les référendums devant se tenir dans un délai maximal de trois mois à compter de l’obtention du seuil requis de signatures de soutien. »
La population Française ne va pas doubler en un rien de temps, inutile d’alourdir la procédure avec des pourcentages à calculer à tout moment.
3 mois de délai rend impossible toute négociation constructive au législatif pour trouver un compromis de contre-projet et ouvrir un débat publique avec les parties concernées. Le risque est grand de rendre tout l’édifice politique instable.
j’imagine que ces des premières idées et que ça peut être modifié. mais dire aux gilets jaunes de participer à l’écriture de la loi sur le site de la france insoumise ne va pas pousser les gilets jaunes à le faire (à part ceux qui ont votés pour la france insoumise aux dernières élections). Ils vont penser que c’est de la récup.
Par souci de clarté ils auraient pu mettre le texte de la loi sur le site de parlement et citoyens, un site indépendant des partis politiques.
Vous avez parfaitement raison. Je ne serai pas surpris que d’autres partis proposent leur texte… A un moment donné les différentes versions devront être analysées, la question est: par qui ? Institutionnellement ce devrait être le législatif, mais il n’est pas proportionnel et les gilets jaunes n’y sont pas représenté. Il y a potentiellement un vrai problème pour faire aboutir une bonne constitution avec un RIC efficace mais qui ne provoque pas d’instabilité politique. Ce dernier point est important en France car l’instabilité politique était le prétexte historique pour donner autant de pouvoir à l’exécutif.
"considérant que : - seul le respect des principes fondamentaux du débat public… …peut présider à l’engagement de la CNDP dans un processus de participation. - il revient au seul gouvernement de déterminer ses attentes et la manière dont il répondra à l’ensemble des attentes et propositions exprimées ;
après en avoir délibéré, décide : - …accepte la mission d’accompagner et de conseiller le gouvernement dans l’organisation du Grand Débat…Cet accompagnement se poursuivra jusqu’au lancement du débat - la poursuite de cette mission jusqu’à la rédaction du rapport final suppose un engagement du gouvernement à respecter pour ce débat public les principes fondamentaux de la CNDP."
En même temps, cela démontre qu’ils ne nient pas la nécessité d’un changement. Ils sont par contre visiblement un peu perdu pour trouver un processus adéquat parmi les textes existants. Résultat: une décision de technocrate très loin du pragmatisme attendu par les citoyens qui ne jouissent pas (encore) de pouvoir politique.
Le CESE vient de clôturer sa consultation, il devrait publier une synthèse mi janvier et après des auditions émettre un avis « Fractures et transition : réconcilier la France » fin mars :
Elle est simplement à l’image du CESE, sans moyens ni aucun poids médiatique, il n’avaient aucun moyen de maitriser ceux qui y participeraient. Leur erreur a été de configurer la consultation pour ne pouvoir que soutenir les propositions déposées. Généralement sur les autres consultations de la plateforme de Cap Collectif on peut voter pour ou contre ou amender les propositions. De fait le CESE souhaitait juste recueillir le maximum d’idées sans anticiper que leur choix de paramétrage favorisait la manipulation par des groupes d’intérêts organisés. L’autre erreur a été de l’appeler « mouvement gilet jaune » alors qu’elle était ouverte à tous.
Ceci étant 31 000 participants pour une consultation numérique c’est plutôt beaucoup (chiffre donné sur la plate forme). Si on regarde les autres consultations « officielles » faites sur la plateforme de Cap Collectif : sur les 24 consultations sur Parlement et Citoyens la moyenne est de 800 participants avec un maximum à 9 000 pour une loi sur la biodiversité et sur la dizaine de consultations faites par le gouvernement la moyenne est de 1 000 participants avec un maximum à 21 400 pour la loi pour une république numérique. (edit mes chiffres datent de plus de 6 mois il a eu près de 24 000 participants sur la consultation pour les retraites entre mai et octobre)
Au final elle a été utilisée par la manif pour tous pour relayer leurs revendications. N’importe quel autre groupe d’intérêt aurait pu faire la même chose. Sur la loi sur la république numérique c’est la communauté des gamers qui avait réussi à faire reconnaitre les spécificités des compétitions de jeux vidéo en ligne.
Cet article contribue à faire connaître le différents instruments de démocratie direct existants. Mes observations sur les passages concernant la Suisse:
« Plus un dispositif de référendum d’initiative citoyenne est ancien, plus il donne de droits aux pétitionnaires, et donc, plus il est utilisé. Plus les dispositifs de RIC sont récents, moins ils sont fonctionnels, explique Raul Magni-Berton, chercheur et enseignant à Science-Po Grenoble
L’ancienneté n’est certainement pas la cause première de l’efficacité d’un instrument de démocrate direct. Son formalisme dicte directement son utilisabilité et donc son efficacité. Le formalisme très direct et pragmatique des articles 138 à 142 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse ( https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19995395/index.html#id-4-2 ) garantissent leur application pratique. Une rédaction pragmatique pour le RIC en France est probablement une bonne idée.
« Il y a des référendums d’initiative citoyenne racistes en Suisse, oui. Ce sont ceux dont on parle le plus, mais il y en a aussi beaucoup qui sont progressistes », tempère le chercheur Raul Magni-Berton.
J’observe deux parties dans cette déclaration.
La première affirme qu’il y a des initiatives citoyennes racistes en Suisse. Formulation arbitraire facile pour donner une émotion négative. Ce discourt sur le racisme, la xénophobie, l’exclusion, le repli sur soi, le nationalisme, etc… fonctionne encore en France, mais plus vraiment en Suisse, en particulier depuis que même les syndicats soutiennent les propositions de gestion migratoire proposées par la droite. La gauche récolte les conséquences de son discourt après tant d’années à ne rien faire d’autre que de qualifier tout les autres de dangereux déviants psychopathes. Les différents flux migratoires doivent être gérés, le constat est plus que évident. Nier leurs existences et ensuit crier au scandale uniquement quand des migrants meurent n’est plus une solution acceptable. Pour gérer il faut en tout premier accepter de se parler.
La seconde partie est bien plus factuelle.
Oui, une grande partie de la presse adore se déchaîner sur quoi que ce soit qui pourrait être interprété comme de la peur, ce qui est bien ridicule dans un pays qui a un des taux d’étranger le plus élevé en Europe. Il semble impossible de comprendre que pour rester cohérent avec un tel taux il faut justement beaucoup de gestions bien délicates. Il y a des intérêts très différents à l’origine des différents flux migratoires, c’est un problème politiquement complexe.
Oui, en Suisse, statistiquement la gauche a historiquement plus utilisé l’initiative populaire que la droite. Ce qui démontre bien que ce n’est pas un outil favorisant l’extrême droite. Cette fausse perception et causée par le contexte politique général actuel. Il y a 80 ans, le RIC aurait été vu comme favorisant l’extrême gauche. En dans 80 ans bien malin qui peut prédire qui il pourrait favoriser. Ce qu’il faut observer c’est que quelque soit le contexte politique les instruments de démocratie direct efficaces sont des outils de cohésion qui oblige à prendre en compte la perception de la population avant qu’un problème devienne ingérable. Encore et toujours il faut écouter, débattre et négocier…
Et un tableau des initiatives populaire Suisse avec une colonne « Comité » contenant des flèches permettant de les trier. Effectivement, à ce jour, le PSS (Partit Socialiste Suisse) en a déposé plus que l’UDC (régulièrement qualifié d’extrême droite dans la presse étrangère), CQFD:
"Enfin, il est évident que la période que notre pays traverse montre qu’il nous faut redonner plus de force à la démocratie et la citoyenneté. Être citoyen, c’est contribuer à décider de l’avenir du pays par l’élection de représentants à l’échelon local, national ou européen. Ce système de représentation est le socle de notre République, mais il doit être amélioré car beaucoup ne se sentent pas représentés à l’issue des élections.
Faut-il reconnaître le vote blanc ? Faut-il rendre le vote obligatoire ?
Quelle est la bonne dose de proportionnelle aux élections législatives pour une représentation plus juste de tous les projets politiques?
Faut-il, et dans quelles proportions, limiter le nombre de parlementaires ou autres catégories d’élus ?
Quel rôle nos assemblées, dont le Sénat et le Conseil Economique, Social et Environnemental doivent-ils jouer pour représenter nos territoires et la société civile ? Faut-il les transformer et comment ?
En outre, une grande démocratie comme la France doit être en mesure d’écouter plus souvent la voix de ses citoyens.
Quelles évolutions souhaitez-vous pour rendre la participation citoyenne plus active, la démocratie plus participative ?
Faut-il associer davantage et directement des citoyens non élus, par exemple tirés au sort, à la décision publique ?
Faut-il accroître le recours aux référendums et qui doit en avoir l’initiative ?"
La CNDP vient de publier son rapport pour sa mission d’accompagnement et de conseil préalable au grand débat, ça balance ferme :
La mission de la CNDP s’arrête là puisque Chantal Jouanno s’est retirée la semaine dernière suite à la polémique sur son salaire. On comprend à la lecture du rapport que ce n’était qu’un prétexte.
« Selon RTL, qui a révélé l’information, ce tandem pourrait être complété par « un duo de sages » garants « du bon déroulé de ce débat » composé de l’ancienne patronne de la CFDT Nicole Notat et de l’ancien dirigeant de la RATP et de la Poste Jean-Paul Bailly. »