Cela me fait penser à un texte que j'avais écrit il y a une dizaine d'année :
"...Si l'on observe le fonctionnement du pouvoir dans l'entreprise il est clair que le fonctionnement est fondamentalement non démocratique, on peut la plupart du temps le qualifier de féodal. En effet l’équipe dirigeante au sein de l'entreprise est généralement adoubée par les actionnaires majoritaires, mais elle n'est pas élue ni n’a de compte à rendre aux salariés ni aux autres parties prenantes que sont les clients, les fournisseurs ou les représentants des communautés sur lesquelles l'entreprise a du pouvoir (commune pour une installation industrielle,...). Quant à l’égalité des salariés, la séparation des pouvoirs exécutifs législatifs et judiciaires ou la liberté de l'expression et de l'information, qui aujourd’hui oserait l’imaginer…
La capitalocratie est basé sur un principe simple : la liberté absolue et sans limite du détenteur de capital. Quand G W Bush dit qu'il est le défenseur de la liberté et qu'il veut pour les états unis construire une nation de propriétaires c'est parce qu'il est d'abord un capitalocrate même s'il s'accommode d'un système politique démocratique. Ce principe politique, dans un monde fini comme l'est notre planète est générateur d'une violence absolue et sans limite. Il engendre une compétition mortifère entre les individus pour détenir le plus de capital possible au détriment des autres. Il tend à vouloir annexer toutes les activités humaines pour les rendre marchandes et donc « capitalisables ». Au sein des collectivités humaines que sont les entreprises et notamment les sociétés privées à but lucratif il favorise une structure de pouvoir féodale dédiée à la recherche exclusive du profit. Je ne parle même pas ici des dégâts que ce système engendre sur l'environnement ou l'hypothèque qu'il s’octroie sur le monde laissé aux générations futures...
Dans un monde développé qui baigne dans une culture politique démocratique depuis deux siècles, où 80 % d’une classe d’age à un niveau d’éducation secondaire, ces « dégâts collatéraux » rendent ce système de plus en plus illégitime. Face à ces dégâts et en réaction aux pressions extérieures, les entreprises capitalistes ont inventé ses dernières années un certain nombre de concepts et de pratiques pour les rendre acceptables. Ces concepts qu'ils se nomment entreprise citoyenne, développement durable ou démarche de qualité totale ne sont que des caches sexes qui ne remettent pas en cause la structure du pouvoir foncièrement antidémocratique.
Deux pistes aujourd'hui ne sont pas explorées et me paraissent indispensables pour réduire la violence économique de notre monde capitalocratique. Ces deux pistes reposent sur les principes de la démocratie :
Tout d'abord favoriser les entreprises à but non lucratif et ayant une structure de pouvoir interne démocratique. Le statut d’entreprise à but non lucratif n’empêche pas la création de valeur ajoutée pour la société, au contraire il permet de mieux mobiliser l’ensemble des membres vers la réelle raison sociale de la structure qui aujourd’hui est secondaire par rapport au désir de profit. Il suffit de voir l’engagement et l’efficacité des membres des ONG et des entreprises coopératives pour en avoir la démonstration. Le respect des principes démocratiques implique que les membres de l'entreprise, qui sont le collectif humain réellement engagé, nomment les dirigeants au même titre que les actionnaires qui engagent du capital. Il implique aussi la séparation des pouvoirs exécutifs législatifs et judiciaires internes et une réelle liberté d'expression et d'information.
A partir de ces principes il est nécessaire de redéfinir les statuts des entreprises, leur gouvernance et même le statut de salarié. C'est tout un champ de réflexion et d'expérimentation qui est à ouvrir, notamment quels types de dispositifs en fonction des tailles ou d'autres critères comme le secteur d'activité, on ne peut évidemment pas mettre en place les mêmes systèmes dans une entreprise de 10 personnes et une autre de 100 000, même si les principes directeurs peuvent être les mêmes. Dans ce cadre les politiques publiques qu'elles soient locales nationales ou supra nationales pourraient soutenir ce mouvement en conditionnant toutes les aides publiques à la nature de la structure du pouvoir dans les entreprises. Le deal serait clair : « messieurs les actionnaires, vous êtes libres de garder un pouvoir total et discrétionnaire dans vos entreprises, mais dans ce cas ne comptez pas sur les aides de la collectivité »...
Ceci étant cette piste ne pourra pas à elle seule réduire la violence économique. Celle ci est fondamentalement soutenue par le désir irrépressible du pouvoir absolu qui s'incarne aujourd'hui par la détention illimitée de capital. Il est particulièrement notable que la seule activité humaine qui ne soit pas limitée soit la thésaurisation de capital. Or dans un monde fini cette absence de limite engendre forcement une violence car cette thésaurisation individuelle se fait forcement au détriment des autres. En effet, dans une économie avec un taux de croissance et une inflation de l'ordre de 2 %, la recherche de rendement de 15 % se fait forcement aux détriments des autres, compétiteurs, sous traitants et au bout du compte salariés.
Comme la solution d'étatiser les biens est liberticide, une solution serait de fixer un plafond à partir duquel il deviendrait illégal pour un individu d'accroître sa richesse. On pourrait parfaitement mettre ce plafond sans forcement limiter les revenus, simplement chaque année les biens supérieurs à cette limite devraient être redistribués à des structures publiques ou privées sans buts lucratifs et avec lesquelles le donateur n'a aucun lien de quelque nature que se soit. Ce principe accompagné par la démocratisation de toute collectivité humaine réduirait mécaniquement la violence économique. Les entreprises n'auraient plus à garantir des retours sur investissements délirants de 15 % vis à vis de leurs actionnaires, la course à la taille et au profit à tout prix n'aurait plus de raison d'être.
Ceci ne remet absolument pas en cause la liberté de l’entrepreneur privé, mais l’oblige s’il souhaite développer son activité à convaincre non seulement les actionnaires qui engagent leur capital, mais aussi l’ensemble des autres partenaires engagées dans l’entreprise qu’il leur propose. Ces deux pistes auraient aussi un effet bénéfique sur la pérennité des entreprises d’une certaine taille car celles ci ne seraient pas dépendantes d’une petite oligarchie constituée des principaux dirigeants et des actionnaires majoritaires qui par structure est instable.
Il ne restera plus qu'à trouver des dérivatifs pour les drogués de la puissance et du pouvoir absolu, on peut désormais leur réserver des espaces virtuels où ils pourront s'adonner librement à toutes les compétitions possibles et imaginables sans que cette volonté de puissance affecte les autres êtres humains dans l'espace réel... "
Aujourd'hui j'essaierai de développer la notion de gouvernance des communs face à la propriété exclusive (il existe un bon forum sur le sujet : https://forum.lescommuns.org/ ) et aussi la problématique de la transparence des algorithmes. En effet dans l'ancien régime les prédateurs étaient ceux qui détenaient
la terre, depuis 250 ans c'est ceux qui détiennent le capital, désormais et dans le futur les prédateurs seront ceux qui veulent s'arroger une propriété exclusive sur les données et les algorithmes...