Définition de la démocratie athénienne (Dictionnaire de la civilisation grecque,Claude Mossé))

Je mets ici la définition de la démocratie athénienne (antique) trouvée dans Dictionnaire de la civilisation grecque, Bruxelles, Complexe, 1992 par Claude Mossé. J’ajoute par ailleurs le mot démos (terme ambiguë ) en lien direct avec le mot démocratie.

Je mets ces deux définitions ici, pour essayer de nuancer le débat qu’ont certains sur la définition de la démocratie, menée avec entêtement sur leur représentation de le démocratie grecque, et non les traces des faits et écrits de Grèce antique.
Et ce n’est pas en évoquant une « démocratie véritable » antique idéale que l’on pourra résoudre les problèmes du monde présent.
Pour rappel (avec plus de précisions dans les définitions): Démocratie athénienne: citoyens<1/4 de la population, société esclavagiste, impérialiste (colonies) +guerres.
Réfléchissons plutôt à comment les idées qui ont germées à cette époque peuvent nous aider à résoudre nos problèmes.

DÉMOCRATIE (p°197-205)
Le mot démocratie est apparu assez tard dans le vocabulaire politique grec. Hérodote, dans le célèbre dialogue perse, au livre III des Histoires, parle d’isonomie à propos du régime où le peuple est souverain.
Mais dans les Suppliantes d’Eschyle, représentées vers 468 avant J.-C., se trouvent pour la première fois accolés les deux mots qui ont formé le terme démocratie, à savoir démos, le peuple et kratos, le pouvoir, pour évoquer la décision prise dans la pièce par le peuple d’Argos d’accueillir les Danaïdes venues demander asile. À la fin du Ve siècle, avec Thucydide et Andocide, le terme devient d’usage courant pour désigner le régime athénien. Mais si le mot lui-même n’est apparu que tardivement, la chose, elle, est en place depuis le début du Ve siècle, peut-être même avant à Chios, où une inscription du milieu du VIe siècle mentionne déjà l’existence d’un conseil populaire, en tout cas assurément à Athènes, depuis la révolution opérée par Clisthène en 508, le remodelage de l’espace civique et l’institution de la boulè des Cinq Cents. Les guerres médiques, en affirmant le poids du démos qui fournissait les rameurs de la flotte, les réformes opérées par Ephialte en 461, qui privaient le conseil aristocratique de l’Aréopage de l’essentiel de ses pouvoirs politiques, l’institution par Périclès de la misthophorie, palliatif des inégalités sociales, parachevèrent l’oeuvre de l’Alcméonide. Au terme d’un siècle et demi de luttes politiques le démos athénien devenait le maître de l’autorité souveraine dans la cité. On a beaucoup discuté sur la valeur et la réalité de cette démocratie, de cette forme de régime politique « inventée » par les Athéniens et que nous connaissons à travers les écrits des philosophes, les discours des orateurs, les plaisanteries des Comiques, et aussi les nombreux témoignages gravés sur la pierre que sont les décrets émanant de ce pouvoir populaire.
Pour les Athéniens déjà, elle était un sujet de discussions, souvent âpres. Si le sophiste Protagoras, un étranger venu enseigner à Athènes, semblait la justifier en affirmant que tous les hommes possédaient la politikè technè, c’est-à-dire la capacité de porter un jugement politique, si Périclès, dans la célèbre Oraison funèbre que rapporte Thucydide au livre II de son Histoire de la guerre du Péloponnèse, mettait l’accent sur l’égalité de tous devant la loi et sur la valeur du principe majoritaire, d’autres en revanche en dénonçaient les méfaits. Pour le Vieil Oligarque, elle était le gouvernement des pauvres et des méchants dans l’intérêt des pauvres et des méchants, au détriment des riches et des bien-nés. Pour Platon, elle remettait le pouvoir de décision entre les mains d’une foule ignorante, versatile et prête à suivre ses mauvais conseillers, les démagogues qui ne pensaient qu’à la flatter. Arguments repris par presque tous les écrivains de l’Antiquité, et aussi par nombre de modernes, influencés tant par la lecture des auteurs anciens que par les problèmes propres à leur époque ; on pense ici aussi bien aux historiens « bourgeois » du XIXe siècle qu’aux universitaires contemporains, dans les années qui suivirent l’agitation de mai 1968.
Qu’en était-il en réalité de cette démocratie grecque, ou plus justement athénienne, puisque c’est la seule dont nous puissions discuter réellement ? Il importe d’abord de se débarrasser d’un problème que l’on ne manque pas de soulever périodiquement, celui de l’esclavage. Il est bien évident que la démocratie athénienne était une démocratie esclavagiste, que le démos qui exerçait la souveraineté au sein des assemblées et des tribunaux ne constituait qu’une partie de la population de l’Attique, qu’en étaient exclus la masse des esclaves, dont le nombre était au moins égal à celui des hommes libres, mais aussi les femmes, cette moitié de la cité comme dit Platon, à laquelle toute activité politique était refusée. C’est bien là précisément ce qui permet de mesurer la distance qui nous sépare des sociétés de l’Antiquité.
Mais le démos n’en était pas moins, pour reprendre une formule de Pierre Vidal-Naquet, « un vrai peuple », et « les luttes de classe qui le traversaient étaient de vraies luttes » (Tradition de la démocratie grecque, p. 43). Le démos athénien n’était pas en effet une classe privilégiée d’oisifs vivant des revenus du travail de leurs esclaves. Seule une infime minorité de riches vivait ainsi. La grande masse de ceux qui composaient le démos était formée de travailleurs, paysans, artisans, boutiquiers, commerçants, dont les intérêts n’étaient pas toujours identiques : on le voit au début de la guerre du Péloponnèse, quand les paysans assistent impuissants aux razzias lacédémoniennes sur leurs champs et mettent en question la tactique préconisée par Périclès ; on le voit au IVe siècle, quand les riches sur qui repose le poids des charges occasionnées par les opérations maritimes s’opposent de plus en plus nettement à la politique impérialiste qui sert au contraire les intérêts du démos urbain et des plus pauvres.
Certains modernes pourtant, reprenant à leur compte les attaques des auteurs anciens, ont mis en doute la réalité de ce pouvoir populaire : face aux querelles personnelles qui opposaient orateurs et démagogues le démos aurait été un spectateur impuissant, balloté au gré de ses emballements successifs. Or si l’on ne saurait nier l’existence à Athènes d’une classe politique, dont il faut toutefois souligner qu’elle ne constituait en aucune manière une oligarchie fermée, et que ses rangs ne cessèrent de se renouveler au cours des deux siècles de l’histoire de la démocratie athénienne, il ne faut pas manquer de rappeler que ceux qui la composaient étaient investis de leur autorité par un vote populaire, et que les décisions prises à leur initiative pouvaient constamment être remises en cause. Cela tenait d’abord au fait que toutes les charges publiques étaient annuelles, collégiales et soumises à reddition de comptes. Même Périclès qui domina la politique athénienne pendant près de trente ans était tenu de justifier chaque année sa politique. Cela tenait ensuite au fait qu’il s’agissait d’une démocratie directe : aucune « représentation » ne s’interposait entre les dirigeants et la masse du démos. De ce fait, celui-ci, constamment appelé à se prononcer sur routes les décisions engageant la communauté, avait acquis ce que Moses Finley appelle « une familiarité avec les affaires publiques que même les citoyens portés à l’apathie ne pouvaient éluder en une telle société, restreinte, en face à face » (Démocratie antique et démocratie moderne, p. 60). Cela tenait enfin à l’importance que revêtait dans ce système politique la parole, le contact direct entre dirigeants et dirigés, l’importance du débat oral avant la prise de décision, l’importance des discussions de l’agora.
Finley donne à ce propos l’exemple d’Athènes à la veille du départ de l’expédition de Sicile, et cite
Thucydide (VI, 24, 3-4) pour illustrer cette participation de tous aux débats politiques : « Tous furent pris d’une même fureur de partir, les hommes d’âge à la pensée qu’ou bien l’on soumettrait la contrée pour laquelle on s’embarquait, ou que, du moins, de puissantes forces militaires ne couraient aucun risque ; la jeunesse en âge de servir, dans le désir d’aller au loin voir du pays et apprendre, la confiance s’y joignant d’en revenir sain et sauf ; la grande masse des soldats, dans l’espoir de rapporter, sur le moment, de l’argent, et d’acquérir de surcroît une puissance qui leur garantirait des soldes indéfinies. Cet engouement du grand nombre faisait que ceux-là même qui n’approuvaient pas craignaient, en votant contre, de passer pour mauvais patriotes et se tenaient cois » (trad. J. de Romilly). Thucydide avait préalablement fait parler Nicias et Alcibiade devant l’assemblée, le premier hostile à l’expédition, le second favorable. Le démos suivit Alcibiade, mais désigna aussi Nicias pour partager avec lui le commandement de l’expédition. Il y a là une indication particulièrement intéressante, car elle démontre que la violence des antagonismes n’entraînait pas le désordre permanent. La décision une fois prise, la minorité s’inclinait devant le vote de la majorité. Ce qui n’interdisait pas la remise en question d’une décision. Mais là encore, cette remise en question n’était pas arbitraire : elle résultait d’une disposition légale, la graphè para nomôn, par laquelle le démos avait la possibilité de reconsidérer une décision prise par lui-même. Il faut donc se garder de tenir la démocratie athénienne pour cette anarchie institutionnalisée dénoncée par ses adversaires. Le fait qu’elle ait fonctionné, et bien fonctionné, pendant près de deux siècles, est à cet égard suffisamment éloquent. Cela dit, il serait absurde de ne voir de la démocratie athénienne que ses aspects positifs, et surtout de la présenter comme un modèle. Et il serait vain d’ignorer aussi une évolution au cours des deux siècles de son histoire, les conséquences en particulier qu’eurent sur son fonctionnement la guerre du Péloponnèse et les deux révolutions oligarchiques de la fin du Ve siècle: aggravation des antagonismes sociaux, liés aux difficultés financières, elles-mêmes conséquences de la perte de l’empire ; professionnalisation accrue de la vie politique se traduisant en particulier par la séparation croissante des fonctions militaires et des fonctions civiles, désintérêt d’une partie du démos pour les luttes souvent stériles de l’assemblée. Il faut certes se garder d’exagérer l’importance de cette « crise » de la démocratie athénienne au IVe siècle. Elle a continué à fonctionner pendant près d’un siècle. Mais on ne saurait non plus la nier, et qu’elle explique en partie l’échec d’Athènes devant la menace macédonienne. La rupture du consensus que l’empire avait su créer au Ve siècle témoignait aussi du lien étroit qui pendant la période d’apogée de la démocratie athénienne avait existé entre le régime et l’hégémonie exercée par la cité sur le monde égéen.

Cl. Mossé, La fin de la démocratie athénienne, Paris,
PUF, 1962. Histoire d’une démocratie : Athènes, Paris,
Seuil. 1971.

M.-I. Finley, Démocratie antique et démocratie moderne,
précédé de Tradition de la démocratie grecque par P.
Vidal-Naquet, Paris, Payot, 1976.
L’invention de la politique, Paris, Flammarion, 1985.
Pour une image négative de la démocratie athénienne, J.
de Romilly, Problèmes de la démocratie grecque, Paris,
Herrnann, 1975.
Alcibiade. Chios. Cité. Démos. Ecclesia. Égalité. Esclavage.
Évergétisme. Graphè para nomôn. Impérialisme.
Liberté. Marine. Métèques. Misthophorie. Oligarchie. Oligarque (Le Vieil). Ostracisme. Péloponnèse (Guerre
du). Pénètes. Périclès. Platon. Polis. Politès. Protagoras.
Socrate. Solon. Sykophantes. Theorikon. Thésée. Trente.
Tyrannie.

DÉMOS (p°205-206)
C’est là un terme ambigu, car il désigne en fait deux ensembles différents. D’une part, et singulièrement dans les intitulés de décrets, il désigne la totalité des membres de la communauté civique, qui, réunis en assemblée, détiennent dans une démocratie le pouvoir de décision. Mais d’autre part, dans les textes littéraires ou dans les discours des orateurs, le mot démos se charge d’un contenu différent : c’est la masse du périr peuple, opposé aux riches (plousioi), aux puissants (dunatoi), aux gens en vue (gnôrimoi), etc. Le terme même de démocratie se ressent de cette ambiguïté, car il peut vouloir dire aussi bien le régime où la souveraineté appartient à la communauté des citoyens ; que le régime où le pouvoir est aux mains de la masse des pauvres. À cette première ambiguïté s’en ajoute une seconde : quand les auteurs anciens parlent du démos athénien du Ve et du IVe siècle, il s’agit à n’en pas douter de la grande masse des citoyens de la ville et de la campagne, mais quand ils évoquent le démos du temps de Solon ou de Pisistrate, ou quand il est question dans les poèmes homériques du démos d’Ithaque ou de Schérie, nous ne savons pas exactement ce que recouvre ce terme. Certes, dans l’un et l’autre cas, il s’agit toujours des petites gens opposés aux puissants. Mais nous ignorons quelles catégories sociales sont incluses dans ce démos : les thètes et les artisans en particulier en font-ils partie, ou bien seuls ceux qui vivent des produits de la terre, ou encore ceux qui ont la capacité hoplitique ? À toutes ces questions, il est pratiquement impossible de répondre. Tout au plus doit-on admettre comme vraisemblable que dans nombre de cités grecques le démos ne se composait que des seuls propriétaires fonciers, qu’à Athènes et peut-être dans d’autres cités il englobait également les artisans et les petits commerçants, au moins à partir de la fin du VIe siècle. Et que, dans les cités démocratiques, il avait conquis le pouvoir de décision.
C. Leduc, La Constitution d’Athènes attribuée à
Xénophon, Paris, 1976, pp. 119 sqq.
Démocratie. Ecclesia. Ostracisme. Pénètes. Politès. Solon.
Theorikon. Tyrannie.
DÉMOS 206

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Merci beaucoup pour la recherche de ces définitions, c’est très instructif et constructif :slight_smile:

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