On peut même se poser pourquoi vous vous posez la question! Cette question "à quoi sert le chef? " vient du fait que le chef ne fait plus autorité. Nous sommes ainsi libre de se poser la question de sa nécessité.
Mais alors pourquoi il y a eu un chef (ou une assemblée élue ) depuis des centaines d’années?
Comme vous avez pu le dire, penser que nous sommes en démocratie est bien différent de ce que pensaient les grecs par rapport à la démocratie. En effet, notre tradition politique a plus son origine chez les romains et dans la tradition chrétienne (à la fin les romains étaient chrétiens et monarchie de droit divin). A ces époques, l’autorité avait une importance cruciale: je précise ce que j’entends par autorité, pour cela je cite Arendt:
S’il faut vraiment définir l’autorité, alors ce doit être en l’opposant à la fois à la contrainte par force et à la persuasion par arguments. (La relation autoritaire entre celui qui commande et celui qui obéit ne repose ni sur une raison commune, ni sur le pouvoir de celui qui commande; ce qu’ils ont en commun, c’est la hiérarchie elle même, dont chacun reconnaît la justesse et la légitimité, et où tous deux ont d’avance leur place fixée.) Ce point est historiquement important ; un aspect de notre concept de l’autorité est d’origine platonicienne, et quand Platon commença d’envisager d’introduire l’autorité dans le maniement des affaires publiques de la polis, il savait qu’il cherchait une solution de rechange aussi bien à la méthode grecque ordinaire en matière de politique intérieure, qui était la persuasion (peithein), qu’à la manière courante de régler les affaires étrangères, qui était la force et la violence (bia)."
(en lisant la dernière partie, on se rend compte que pour Platon, il n’y avait peu d’autorité en démocratie grecque, mais principalement la persuasion.)
On comprend bien que l’autorité qui repose sur la hiérarchie permet le maniement des affaires d’un point de vue politique: pourquoi un tel choix de mettre un chef (à l’époque des romains un sénat)? Qu’est ce que ça permet? C’est d’une certaine manière dû à une façon de voir le monde , et permet la réalisation d’un contrat social (qui est un ordre établi): selon Hobbes, cela permet la sécurité , selon Locke, cela permet et la propriété privée et la liberté individuelle ( d’une certaine manière c’est une extension de la propriété privé, se posséder soi-même), selon rousseau , c’est permettre l’expression de la volonté générale. On peut dire que les trois sont plus ou moins tenus.
Mais justement, c’est ce plus ou moins qui dérange. Pour Hannah Arendt, il y a une crise de l’autorité, qui vient en grande partie de la seconde guerre mondiale. On peut interpréter: car par exemple les gouvernements n’ont permis aucun des critères des contrats: la sécurité, la liberté individuelle et la propriété, remplacé par de la « terreur ». L’ordre n’est plus juste, l’autorité faiblit alors. Il y a aussi selon elle une crise de la religion et des traditions qui mènent à une crise de l’autorité ( comme dans la citation de Nietzsche de Humain trop Humain). J’ajouterai que si la Vième république a mis en place un système de chef à l’autorité importante, c’était justement parce que les français avaient besoin de protection (entre autres) face à des changements graves (fin de la 2 guerre mondiale , fin du colonialisme).
Voilà, tout ça pour dire que se poser des questions sur le chef, sur la démocratie en générale vient d’une crise de l’autorité. Mais les besoins restent les mêmes: besoin de sécurité et de propriété (et / ou liberté individuelle) et de volonté générale: or justement ces mêmes chefs ne peuvent plus assurer ces besoins primaires: le pouvoir économique a pris le pas sur les pouvoirs politiques. On entre donc dans un paradoxe: on demande un chef car c’est le moyen traditionnel pour résoudre nos besoins et en même temps il y a une incertitude du chef car crise de l’autorité. Et celui-ci n’ayant que trop peu de pouvoir en terme économique, nos besoins sont toujours insatisfaits ce qui accentue la défiance.
Conséquence: -soit on rompt totalement avec l’autorité politique et on laisse la propriété privée nous gouverner. (thèse de Nietzsche)
-soit il y a fondation d’un ordre politique (et économique car sinon le nouvel ordre n’aurait pas assez de pouvoirs) totalement nouveau. Lorsque je dis totalement nouveau, c’est prenant ces racines de la passé et ayant la responsabilité du futur. (ma thèse même si possible que les deux se déroulent l’une après l’autre, et je précise, la dernière fois c’était la révolution française).
Comment imaginer une nouvelle façon de voir le chef? Comme je l’ai dit plutôt il n’y a presque plus d’autorité en politique: pas besoin d’en vouloir un dans le sens d’autorité, c’est à dire qui ne se discute pas. C’est d’ailleurs la base de la démocratie, qui permet l’égalité pour la possibilité d’expression des besoins et des commencements (et par là la liberté politique). Le (les ?) chefs n’auront pour but que la compréhension , la synthèse du lieu des savoirs de tous les citoyens (d’autres pourront dire sagesse) « Où est passée la sagesse que nous avons perdue dans la connaissance ? Où est passée la connaissance que nous avons perdue dans l’information ? ».
Son but n’est donc pas de donner son avis mais de comprendre tous les autres avis (et de devoir rendre des comptes sur sa compréhension bien-sûr afin d’être discuté). Et ainsi de permettre l’égalité d’expression pour que les gens se comprennent l’un l’autre . Et enfin permettre l’autorité de la loi: j’en revient à l’autorité: elle est nécessaire (sinon pas de loi qui permet l’égalité d’expression et donc la liberté politique): pas sous forme personnelle, mais sous forme de règles universelles établies par les citoyens: la loi. Elles ne pourront prendre leur autorité que lorsque chacun aura pu comprendre sa nécessité. (même si cela va à son encontre).
Les chefs ne deviendraient alors que maillons entre les citoyens, permettant la compréhension de chacun plutôt que le jugement, la responsabilité de chacun plutôt que l’irresponsabilité.
Et notre monde a bien besoin de responsabilité… L’être humain moderne ont tendance à oublier que ce monde, nous l’avons hérité et que nous allons le transmettre…