Un chef en démocratie... Pour quoi faire ?

Dans nos recherches sur les mécanismes démocratiques, une figure nous est apparue comme essentielle et paradoxale : celle du chef.

Dans un système comme la Vème République, le chef (sous la forme du Président) constitue la figure centrale de vie politique au point même de lui donner des airs monarchiques. Mais n’est-ce pas là un paradoxe voire un contresens qu’un système qui se réclame de la voie du peuple ne puisse se passer d’une figure personnelle pour incarner le pouvoir et la décision ?

Plongé.e.s entre autre dans la lecture de l’ouvrage de Jean-Claude Monod « Qu’est-ce qu’un chef en démocratie ? » [Le Seuil, 2012]

Nous voulions vous associer à ce moment de notre réflexion.

  • A quoi peut bien servir un chef en démocratie ?
  • Comment incarner le pouvoir sans le confisquer ?
  • De quelle manière éviter que le charisme n’écrase le débat public ?
  • Pourquoi avons-nous besoin d’un chef dans un système qui se réclame de la foule ?
  • Et, au fond, avons-nous besoin d’un chef, et sinon, comment s’en passer ?

Vaste sujet que nous alimenterons de nos découvertes sur l’Agora. Et qui, nous l’espérons, vous inspirerons de fertiles débats !

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Gros sujets en effet:

Le chef dans notre démocratie actuelle avec un président qui a été placé à cette place par le monde de l’argent est tout à fait contraire à la volonté du peuple. De plus, puisqu’il n’y a pas de Corrum (donc pas de nombre de votes minimum recquis), dès lors le président peut se déplacer tout seul le jour de l’élection, voter pour lui et il deviendra président de la république française et dirigera les 68 999 999 de français.

Un chef dans une démocratie faites par le peuple, pour le peuple et appliquer par le peuple, avec des citoyens constituants tirés au sort à du sens uniquement si ce dernier ne trempe pas avec le pouvoir de l’argent. Un chef sans conflits d’intérêts qui contrôlerait uniquement la bonne application des règles et des lois décrites dans la Constitution du peuple avec zéro influence d’argent. (dans le dernier cash investigation ou envoyé spécial, on a constaté que 127 sénateurs UMP / LR avaient utilisé l’article 4 de la Constitution pour détourner l’argent publique destiné aux assistants parlementaires). LA Constitution ne devrait pas être modifiée et utilisée à des fins d’intérêts privés. Les sénateurs, députés, présidents et chefs doivent avoir peur de la Constitution dès lors que celle-ce est contrôlée par le peuple et que chaque modification de celle-ci ne se fera uniquement par référendum ouvert au peuple. Tout chefs qui voudraient truander la Constitution devraient subir une punition intransigeante (du genre de la vraie prison comprenant 3 bouillies par jours et un coup de fil à Noël pendant 30ans associés d’une impossibilité et une interdiction à vie pour ces chefs d’être tiré au sort).

Il est vrai que certaines personnes ont d’avantage de facultés plus que d’autres (tout comme il y a des gens qui sont doués en maths et nuls en présentations orales, des gens doués en musiques et nuls en maths etc. vous avez compris), pour moi il en va de même pour les chefs qui ont une facilité intrinsèque à faire respecter les règles, savent donner une vision du vivre en société corrélé à la Constitution du peuple, sont bienveillants et perçoivent un salaire maximal qui serait pas plus élevé que 5 fois le salaire minimum.

Ce chef incarnera le pouvoir sans le confisquer dès lors que 2 ou 3 groupes citoyens le contrôle à son tour en vérifiant constamment les écrits de la Constitution du peuple (le chef en est le garant mais mais mais il n’est pas tout seul à en être garant, ces 2 ou 3 groupes citoyens contrôleraient à leur tour les faits et gestes du chef.
Bref trouver à mettre en place une démarche en boucle / en circuit fermé afin d’arrêter enfin le management et le leadership linéaire croissant et pyramidal.

bref je continue d’y réfléchir
A ce soir

Juste une réflexion au passage, dans l’univers des communs on parle de faisceaux de droits de propriété qui se répartissent entre les différents types d’usager/propriétaires des communs. C’est une notion qui réfute la définition univoque de la propriété lucrative pleine et entière. Est ce que l’on ne pourrait pas réfléchir de la même manière à des faisceaux de pouvoirs dans les organisations humaines ?

merci pour cette question pertinente.
Un peu d’histoire de la Vème république et de nos gouvernements représentatifs en général permettrait de percevoir les objectifs des créateurs de cette Vème république (Le Général de Gaulle, Michel Debré) des gens sensibles à la monarchie et au temps long qu’elle permet et sans doute assez agoraphobes au sens que donne à ce mot Francis Dupuis-Déry.
Je préfère m’effacer derrière le travail de ce dernier et de Frédéric Turpin concernant le choix du présidentialisme :
https://www.cairn.info/revue-parlements1-2007-1-page-99.htm

Mais il me semble qu’en démocratie, un chef n’est pas souhaitable…
sauf à en faire un chef de guerre mais une démocratie doit-elle faire la guerre ?

J’aurais tendance à dire qu’une démocratie ne peut pas faire la guerre sinon à y perdre son âme, que cette guerre soit militaire territoriale, idéologique ou économique, une démocratie se devrait d’être neutre.
Il en découle qu’elle n’a donc pas besoin de chef et que si celle-ci est attaquée, elle doit se défendre, non pas par la riposte mais par la non-resistance au mal par la violence (Tolstoi) ce qui déviendra la désobéissance civile élaborée et pratiquée à Gandhi.
La riposte entraine toujours dans le monde de l’agresseur… qui aura vaincu même s’il est battu puisque la victime utilise les moyens de l’agresseur pour vaincre.
Il me semble que « O sensei » le père de l’aïkido formule cela bien mieux que moi.
Bonne continuation

On peut même se poser pourquoi vous vous posez la question! Cette question "à quoi sert le chef? " vient du fait que le chef ne fait plus autorité. Nous sommes ainsi libre de se poser la question de sa nécessité.
Mais alors pourquoi il y a eu un chef (ou une assemblée élue ) depuis des centaines d’années?

Comme vous avez pu le dire, penser que nous sommes en démocratie est bien différent de ce que pensaient les grecs par rapport à la démocratie. En effet, notre tradition politique a plus son origine chez les romains et dans la tradition chrétienne (à la fin les romains étaient chrétiens et monarchie de droit divin). A ces époques, l’autorité avait une importance cruciale: je précise ce que j’entends par autorité, pour cela je cite Arendt:

S’il faut vraiment définir l’autorité, alors ce doit être en l’opposant à la fois à la contrainte par force et à la persuasion par arguments. (La relation autoritaire entre celui qui commande et celui qui obéit ne repose ni sur une raison commune, ni sur le pouvoir de celui qui commande; ce qu’ils ont en commun, c’est la hiérarchie elle même, dont chacun reconnaît la justesse et la légitimité, et où tous deux ont d’avance leur place fixée.) Ce point est historiquement important ; un aspect de notre concept de l’autorité est d’origine platonicienne, et quand Platon commença d’envisager d’introduire l’autorité dans le maniement des affaires publiques de la polis, il savait qu’il cherchait une solution de rechange aussi bien à la méthode grecque ordinaire en matière de politique intérieure, qui était la persuasion (peithein), qu’à la manière courante de régler les affaires étrangères, qui était la force et la violence (bia)."

(en lisant la dernière partie, on se rend compte que pour Platon, il n’y avait peu d’autorité en démocratie grecque, mais principalement la persuasion.)
On comprend bien que l’autorité qui repose sur la hiérarchie permet le maniement des affaires d’un point de vue politique: pourquoi un tel choix de mettre un chef (à l’époque des romains un sénat)? Qu’est ce que ça permet? C’est d’une certaine manière dû à une façon de voir le monde , et permet la réalisation d’un contrat social (qui est un ordre établi): selon Hobbes, cela permet la sécurité , selon Locke, cela permet et la propriété privée et la liberté individuelle ( d’une certaine manière c’est une extension de la propriété privé, se posséder soi-même), selon rousseau , c’est permettre l’expression de la volonté générale. On peut dire que les trois sont plus ou moins tenus.
Mais justement, c’est ce plus ou moins qui dérange. Pour Hannah Arendt, il y a une crise de l’autorité, qui vient en grande partie de la seconde guerre mondiale. On peut interpréter: car par exemple les gouvernements n’ont permis aucun des critères des contrats: la sécurité, la liberté individuelle et la propriété, remplacé par de la « terreur ». L’ordre n’est plus juste, l’autorité faiblit alors. Il y a aussi selon elle une crise de la religion et des traditions qui mènent à une crise de l’autorité ( comme dans la citation de Nietzsche de Humain trop Humain). J’ajouterai que si la Vième république a mis en place un système de chef à l’autorité importante, c’était justement parce que les français avaient besoin de protection (entre autres) face à des changements graves (fin de la 2 guerre mondiale , fin du colonialisme).

Voilà, tout ça pour dire que se poser des questions sur le chef, sur la démocratie en générale vient d’une crise de l’autorité. Mais les besoins restent les mêmes: besoin de sécurité et de propriété (et / ou liberté individuelle) et de volonté générale: or justement ces mêmes chefs ne peuvent plus assurer ces besoins primaires: le pouvoir économique a pris le pas sur les pouvoirs politiques. On entre donc dans un paradoxe: on demande un chef car c’est le moyen traditionnel pour résoudre nos besoins et en même temps il y a une incertitude du chef car crise de l’autorité. Et celui-ci n’ayant que trop peu de pouvoir en terme économique, nos besoins sont toujours insatisfaits ce qui accentue la défiance.
Conséquence: -soit on rompt totalement avec l’autorité politique et on laisse la propriété privée nous gouverner. (thèse de Nietzsche)
-soit il y a fondation d’un ordre politique (et économique car sinon le nouvel ordre n’aurait pas assez de pouvoirs) totalement nouveau. Lorsque je dis totalement nouveau, c’est prenant ces racines de la passé et ayant la responsabilité du futur. (ma thèse même si possible que les deux se déroulent l’une après l’autre, et je précise, la dernière fois c’était la révolution française).
Comment imaginer une nouvelle façon de voir le chef? Comme je l’ai dit plutôt il n’y a presque plus d’autorité en politique: pas besoin d’en vouloir un dans le sens d’autorité, c’est à dire qui ne se discute pas. C’est d’ailleurs la base de la démocratie, qui permet l’égalité pour la possibilité d’expression des besoins et des commencements (et par là la liberté politique). Le (les ?) chefs n’auront pour but que la compréhension , la synthèse du lieu des savoirs de tous les citoyens (d’autres pourront dire sagesse) « Où est passée la sagesse que nous avons perdue dans la connaissance ? Où est passée la connaissance que nous avons perdue dans l’information ? ».
Son but n’est donc pas de donner son avis mais de comprendre tous les autres avis (et de devoir rendre des comptes sur sa compréhension bien-sûr afin d’être discuté). Et ainsi de permettre l’égalité d’expression pour que les gens se comprennent l’un l’autre . Et enfin permettre l’autorité de la loi: j’en revient à l’autorité: elle est nécessaire (sinon pas de loi qui permet l’égalité d’expression et donc la liberté politique): pas sous forme personnelle, mais sous forme de règles universelles établies par les citoyens: la loi. Elles ne pourront prendre leur autorité que lorsque chacun aura pu comprendre sa nécessité. (même si cela va à son encontre).
Les chefs ne deviendraient alors que maillons entre les citoyens, permettant la compréhension de chacun plutôt que le jugement, la responsabilité de chacun plutôt que l’irresponsabilité.
Et notre monde a bien besoin de responsabilité… L’être humain moderne ont tendance à oublier que ce monde, nous l’avons hérité et que nous allons le transmettre…

bonsoir, je trouve très intéressant le fait de considérer la propriété comme un besoin. Personnellement, je tiens que notre incapacité à sortir du modèle dominant tient dans cette illusion qu’est la propriété privée en quelque sorte cela donne de l’eau à mon moulin. Je pense que notre imaginaire est colonisé par l’avoir. J’avais une discussion fort intéressante avec quelques surfeurs à propos de leur comportement de « propriétaire » sur une vague, cela avait quelque chose de comique triste.
Cela ne cesse de m’évoquer le petit prince s’intérrogeant sur la nécessité de recenser les étoiles (par extension, les oiseaux, etc)

Je suis d’accord avec vous, il n’y a plus d’autorité par hierarchie consentie comme autrefois, les raisons sont multiples… mais pour revenir sur le chef, je crois que vous avez raisons soit le chef s’imposera par la violence soit un nouveau paradigme émergera, c’est à dire une nouvelle croyance. Car je suis Durkheim quand il dit que nous faisons société quand nous croyons à peu près tous aux mêmes institutions. Les déchirements des sociétés aujourd’hui sont pour moi le signe que les cartes sont rebrassées à une échelle qui nous échappe individuellement.

Mon souhait est que cela débouche sur plus de convivialité, d’entraide, de partage de la propriété :innocent: afin que tout un chacun puisse trouver sa place comme autrefois chacun trouvait sa place dans une société hierarchique, je rêve que chacun trouve sa place dans une société sans chef.

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C’est vrai que je suis allé assez vite sur ces notions, sans vraiment expliqué que je ne faisais que reprendre en fait les 3 contrats sociaux. Et celui de Locke contient cette partie: la propriété privée et la liberté individuelle, qui sont pour lui des droits naturels: chacun veut préserver ses biens et sa liberté.
Or justement, ces contrats sociaux qui établissent un ordre et délèguent une autorité à une minorité sont pour moi tous dans le faux actuellement.
Ainsi quand locke veut que chacun préserve ses biens et sa liberté, le mot préserver est important: préserver ses biens et sa liberté de l’autorité et de l’extérieur (ou entre les être humains). Mais s’il y a égalité (et donc pas d’autorité), pas besoin de préserver, pas besoin de propriété pour vivre. Car c’est ça l’origine: tout le monde veut des biens pour vivre.

Pour reprendre Saint-Exupéry:

"Ainsi va la vie. Nous nous sommes enrichis d’abord, nous avons planté pendant des années, mais viennent les années où le temps défait ce travail et déboise. Les camarades, un à un, nous retirent leur ombre. Et à nos deuils se mêle désormais le regret secret de vieillir.

Telle est la morale que Mermoz et d’autres nous ont enseignée. La grandeur d’un métier est peut-être, avant tout, d’unir des hommes : il n’est qu’un luxe véritable, et c’est celui des relations humaines.

En travaillant pour les seuls biens matériels, nous bâtissons nous-mêmes notre prison. Nous nous enfermons solitaires, avec notre monnaie de cendre qui procure rien qui vaille de vivre. "

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bonjour @jguignie,
j’aime beaucoup la citation de Saint-Exupéry. Je suis en train de relire « Qu’est-ce que la propriété » de Pierre-Joseph Proudhon qui commence son introduction par "Qu’est-ce que l’esclavage ? c’est l’assassinat ! et enchaine par qu’est que la propriété ? c’est le vol ! Et il se défend de commencer par la conclusion de son livre. Il me faut maintenant lire son argumentation.

En tout cas, il apporte de l’eau à votre moulin ! :wink:

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