J'aurais sans doute pu (du) écrire équilibre social à la place d'équilibre juridique. J'aurais pu mieux le formuler, car j'entendais surtout l'équilibre juridique dans le cadre du risque d'instrumentalisation du contexte en défaveur des minorités, ou un équilibre de représentation si vous préférez.
Prenons le cas de la Belgique par exemple.
L'Article 4 de la Constitution, ainsi que la Loi du 8 novembre 1962 délimitent quatre régions linguistiques :
A. Le Nord néerlandophone, la Flandre, représentant 57% de la population, qui soutient majoritairement des partis de centre-droit libéraux, voire d'influence tatchériennne, dont la N-VA, premier parti de Belgique (Nieuw-Vlaamse Alliantie) aux relents nationalistes d'extrême droite ;
B. Le Sud francophone, la Wallonie, représentant 32% de la population, qui soutient principalement les partis traditionnels, surtout à gauche… bien que le PTB (Parti Travailliste Belge) connaisse une belle remontée tant au Sud qu'au Nord depuis le début de ce mandat ;
C. L'Est germanophone, représentant 0.7% de la population, qui a une dynamique socio-politique semblable à celle de la Flandre mais plus modérée (centre-droit et revendications autonomistes), si ce n'est qu'elle est loin d'avoir le même poids démographique ;
D. La région de Bruxelles-Capitale, représentant 10% de la population, majoritairement francophone et retraçant une dynamique socio-politique semblable à celle de la Wallonie, à l'exception d'une plus grande diversité de partis.
Pour aller plus loin sur l'Histoire de la Belgique, je recommande vivement ces lectures :
• Eggerickx Th. et J-P. Sanderson (2010), Histoire de la Population de la Belgique Et de Ses Territoires: Actes de la Chaire Quetelet 2005, Presses Universitaires de Louvain, 692p.
• Lacrosse J-M. (1997), "La Belgique telle qu'elle s'ignore", Le Débat 94 (2) : 14-41.
Si des référendums peuvent trouver une véritable légitimité (àmha) lorsqu'il s'agit de changements politiques majeurs (comme dans le cadre du droit à l'auto-détermination), sont-ils capables d'exprimer autre chose qu'un rapport de force dans des questions clivant déjà la société où ils ont lieu ? Dans le cas de la Belgique, quelle force donner à un référendum en fonction de sa provenance (soit majoritairement germanophone, néerlandophone ou francophone par exemple) ? S'il représente l'ensemble d'un peuple sans tenir compte de la diversité d'opinions, ne risque-t-il pas d'agir comme un dictat de la majorité sur les minorités ? Et il ne s'agit ici que d'un cas où on repère trois grandes communautés socio-linguistiques… imaginons dans le cas d'un pays comme, par exemple, le Népal où on dénombre plus de 120 groupes ethniques/de castes et presque autant de langues et où les conflits peuvent prendre des formes bien plus violentes (la guerre civile ne s'est clôturée qu'en 2008 et rien que l'année passée on a compté plus d'une cinquantaine de morts dans des affrontements avec la police militaire et d'une centaine de déplacés internes dans des violences inter-communautaires).
Loin de me faire l'avocat de tout impérialisme démocratisant ou de tout autre universalisme, il me semble que des volontés démocratiques ont émergé aux quatre coins du globe et qu'il reste important d'appliquer du cas par cas afin d'envisager la démocratie comme un système aux nombreuses modalités (j'en profite pour poster ici cette très chouette intervention de Pierre Rosanvallon aux jeudis de l'IMA). C'est pourquoi, si le modèle de référendum populaire peut apporter des éléments de réponses à une Démocratie Idéale, il convient — je crois — d'observer sa portée et les risques qu'il implique dans des sociétés moins paisibles que la Suisse (bien que je n'idéalise pas la Suisse, il ne faut pas hésiter à me corriger je connais mal ce pays).
Quel danger à venir ? J'ai en tête l'exemple du Brexit qui est à la fois très contemporain et montre l'instrumentalisation éhontée de certains affects populaires (e.g., précarité de l'emploi et peur de l'immigration ; précarité de l'emploi, pauvreté et faiblesses des institutions de protection sociales).
Cet exemple met justement en avant la force des campagnes mensongères/de propagande dans le cadre de référendums avec un rapport de force avantageux… pour ceux qui peuvent se l'acheter, en l'occurrence une "élite" (qu'elle soit bien-pensante ou non).
Premièrement, je suis très loin d'être un partisan d'une technocratie comme de celle du socialisme scientifique prônée par de nombreux idéologues marxistes — et s'il faut vous en convaincre, je vous invite à relire les deux derniers paragraphes de mon premier message.
Deuxièmement, cet argument ne s'arrête pas aux portes des référendums, mais s'étend bel et bien à l'ensemble de l'édifice démocratique (j'en veux pour funeste exemple celui de Donald J. Trump). Ainsi, loin de moi l'idée d'écarter toute possibilité de référendum, je crois juste qu'il faut examiner cette modalité avec la même vigilance que toute autre.
Pourriez-vous me donner un exemple svp ? Si cela paraît ironique cela ne l'est pas du tout, je suis réellement curieux et relativement mal-informé, les exemples que j'ai en tête étant malheureusement tâchés des stigmates du jeu politicien et dépendants de rapports de force économiques et politiques défavorables aux minorités comme dans le cas du Brexit.
Il y aurait donc, selon vous, ceux qui parlent du réel ("des instruments qui ont fait leurs preuves") et ceux qui parlent de l'idéologie ("concepts […] largement théoriques") ? Cet argument — omniprésent dans le discours néo-libéral — ne tient pas compte du fait que la théorie en sciences humaines vise à élaborer des grilles de lecture au réel et n'est pas antinomique de la pratique. Allons plus loin : si "des instruments qui ont fait leurs preuves" l'ont bel et bien fait par le passé, sont-ils pour autant reproductibles de manière immaculée dans des contextes et dynamiques différents ? Les connaissances théoriques permettent de poser le regard sur ces questions avant, pendant et après l'action. De plus, opposer pratique et théorie revient à dire que, in fine, les actions existent en elles-même, dénuées d'intentionnalités et en dehors des structures sociales, ce qui me paraît réellement difficile à soutenir intellectuellement.
Est-ce que vous pourriez développer svp ? Qu'entendez-vous par "risque politique" et "augmenter la communication sur le sujet à tous les niveaux ?
Je ne suis pas du tout d'accord. On ne peut, de bonne foi, soutenir que seul la possibilité d'agir entraîne l'action. Pas en ayant lu un peu de sociologie en tout cas (laquelle, pour rappel, se base de plus en plus sur la recherche empirique et inductive, et ne peut donc être considérée comme des élucubrations théoristes). Je vous suggère vivement de vous informer sur les modèles développés par Pierre Bourdieu, Maurice Godelier, ou d'autres auteur·e·s (voir schémas).
(images issues d'un Groupe de travail sur la “Théorie de l’action”, G.Beuchot, M.Filippi, J.Perrin G. Beuchot avec la collaboration de M.F. Kouloumdjan, 2003)
Sans pour autant restreindre les motifs de l'action à une logique aussi triviale que l'utilité marginale, tout dépend du but/motif envisagé de l'action et de la représentation que l'on se fait des moyens pour y parvenir. On peut tout à fait se restreindre d'agir par découragement, par fatalisme (ou tout autre forme de relativisme), ou par espoir que l'action envisagée sera entreprise par quelqu'un d'autre/un autre groupe. C'est ce qui explique, entre autres, la torpeur que l'on peut observer dans le cas d'une agression en public.
Ce n'est absolument pas mon idée et je ne cherche ni à justifier ou excuser mais à expliquer, comprendre (ou illustrer) dans cette phrase :
Ensuite vous faites l'allégorie suivante :
Premièrement, je ne vois pas du tout le lien entre l'apprentissage de la conduite, soit d'une capacité psychomotrice, et l'exercice de la politique, soit des relations de pouvoir, de l'usage du discours symbolique et des variables contextuelles. La question politique, si elle a des impacts sur la façon dont notre corps existe en société, mobilise avant tout des ressources sociales, symboliques (bien qu'on puisse débattre du fait de sortir le symbolique du social…) et intellectuelles ; il ne s'agit pas d'un apprentissage pratique mais de représentations.
Deuxièmement, je ne crois pas qu'on puisse limiter l'exercice de politique nationale française aux élections présidentielles, qu'il s'agisse d'affaires courantes, de faits divers, de Lois (im)populaires, etc. le monde politique contemporain (officiel, les élus) doit prendre parole, se rendre aussi omniprésent médiatiquement que possible, pour maintenir son existence et sa légitimité. De plus, j'ai la conviction que depuis septembre 2001, l'élection présidentielle est loin d'être une priorité médiatique et politique — en termes d'intensité dans la durée — comparée à ce que sont devenues les questions identitaire (en France comme ailleurs) et "économiques" (i.e., le discours néo-libéral principalement).
Les potentialités d'intérêts ne se trouvent pas uniquement là où il y a des possibilités d'action, l'action nécessite un leitmotiv. Tous les individus et groupes sociaux ne souhaitent pas nécessairement être impliqués à un niveau décisionnel dans les choix de société tant qu'il subsiste pour eux·elles une possibilité de reproduction socio-culturelle et/ou de survie. C'est pourquoi loin de moi l'idée de nier l'utilité de la possibilité d'agir. Je crois qu'il faut aller au-delà de la possibilité et apporter une démarche de nécessité d'agir, soit d'être un citoyen à part entière. Pour moi, c'est le rôle du processus éducatif (pas uniquement l'école, mais également la communication publique, le contexte dans lequel nous évoluons, bref l'environnement social dans lequel le développement socio-cognitif s'effectue). La démocratie, pour réellement exister — et à mon humble avis — doit devenir un mode d'exister, une religion (au sens de la religion civile romaine).
Nous sommes bien d'accord.
Je ne nie bien évidemment pas la complexité d'une telle entreprise, je n'ai pas non plus une réponse appropriée et universelle. Ce que j'appelle de mes vœux n'est pas de recourir au Divide et impera, mais d'accorder la voix au chapitre à tou·te·s, et ce, peu importe du statut social, économique, culturel ou autre. Ensuite, vous évoquez tour à tour la nécessité de "négocier avec une plus grande efficacité" et une certaine réticence à la négociation dans un cadre local car elle serait "épuisante" et le compromis ne serait dans l'intérêt de personne (alors que je crois qu'il est justement du côté de l'intérêt de tou·te·s) tandis qu'on serait "potentiellement à côté du vrai sujet". Mais ne serait-ce pas alors risquer de nier la voix au chapitre des plus marginalisés/des subalternes, que de placer l'intérêt global au-delà de l'intérêt de tou·te·s ? Évidemment certains choix doivent se prendre à des échelles dépassant le local, comme par exemple la justice climatique, mais en incluant au débat la voix de celles et ceux qui n'ont traditionnellement pas voix au chapitre on passe d'une décision commune à un débat commun. Et c'est là pour moi la grande différence entre une démocratie de débat et de référendum, les deux étant — à mon sens — complémentaires.
Les notions "d'information fiable" et de "ce que pense le peuple" me posent problème. Homi Bhabha en parlait avec de meilleurs mots que les miens :
Le concept d’un peuple n’est pas ‘défini’, comme une part essentielle, déterminée par la classe, unitaire et homogène de la société préalable à la politique ; ‘le peuple’ est présent en tant que processus d’articulation politique et de négociation politique autour desquels un éventail complet de contradictions sociales s’établissent. ‘Le peuple’ existe toujours comme une forme d’identification multiple, attendant d’être créée et construite.
Rutherford J. (1990).« The Third Space. Interview with Homi Bhabha. » In: Ders.(Hg): Identity: Community, Culture, Difference, pp. 207-221, Lawrence and Wishart, Londres, p. 220, [traduction personnelle].
Comment aboutir à définir ce que pense le Peuple alors que ce concept représente lui-même une série complexe de contradictions ? Je ne crois pas que la démocratie puisse se penser à l'aide du Peuple sinon à l'aide de concepts tels que l'Humanité et la Citoyenneté.