Subalternité des voix dans le discours, quelles conséquences pour la démocratie ?

Subalternité des voix dans le discours, quelles conséquences pour la démocratie ?

La démocratie, un concept polysémique
Comme de nombreux concepts employés dans l’arène politique, la démocratie est un concept hautement polysémique (revêtant de nombreux sens et interprétations). La compréhension de ce concept doit donc se faire à la lumière des discours, des imaginaires, au sein desquels il se développe.
Il est alors essentiel de resituer ces discours dans les espaces et les moments où ils ont lieu, sans pour autant hiérarchiser ces derniers entre différentes légitimités… ces légitimités étant elles-mêmes le produit des espaces et temporalités depuis lesquels nous percevons ces discours.

En effet, comment considérer que « démocratie » signifie la même chose pour deux personnes (ou groupes) habitant dans des lieux différents (e.g., un appartement hérité en plein Paris ou un HLM de banlieue), travaillant dans des milieux différents (e.g., dans l’administration ou dans le privé), ayant reçu une éducation différente, etc. ? Si certaines clés de compréhension peuvent rester sensiblement les mêmes (comme le système électoral par exemple), les valeurs attachées à l’idée que l’on se fait de démocratie restent — à mon humble avis — fort dépendantes des structures desquelles nous partons.


Comment nouer un véritable dialogue ?
Comme le suggérait Médine dans une carte blanche publiée dans la Revue Ballast, faut-il parler à hauteur d’homme et ne pas oublier la forme du propos afin de pouvoir discuter du même fond avec des personnes qui ne partagent pas tout à fait le même monde que nous ? C’est en tout cas un mode d’action que je trouve tout à fait séduisant. A fortiori lorsque l’on part du postulat qu’aujourd’hui tous les discours ne trouvent pas le même écho de légitimité (devenant de facto subalternes) dans les sphères médiatiques contemporaines — les médias numériques devenant de plus en plus les partenaires privilégiés de la construction de nos imaginaires, et donc, indirectement (et parfois directement) de notre conception de la démocratie.

Pour parvenir à ce que Pierre Bourdieu aurait appelé une « démocratisation de l’herméneutique », il nous faudrait, je crois, revenir à l’idée d’intellectuel organique développée par Antonio Gramsci et la remettre au goût de notre jour où les canaux traditionnels du savoir académique sont de plus en plus dépendants des enjeux de pouvoir économico-politiques et où le social se fait de plus en plus vampiriser par les logiques de marché comme l’avait, en son temps, déjà souligné Karl Polanyi (La Grande Transformation, 1944).
Pour inverser la tendance de la relation entre savoir et pouvoir de nos sociétés, l’information étant une variable clé — selon moi — d’une dynamique démocratique saine, il apparaît alors essentiel d’investir de nouveaux (et d’anciens) canaux de discours socio-culturels. Car j’ai l’impression que tant que nous resterons dans ce qui me semble être un entre-soi sociologique, nous ne pourrons pas réellement aboutir à une libéralisation (au sens noble) des idées, mais que les groupes plus marginalisés médiatiquement resteront condamnés à errer comme des voix subalternes.

[…] Spivak’s notorious claim that the subaltern cannot speak as such is meant to underline the fact that if the subaltern could speak in a way that really mattered to us, it would not be subaltern.
Beverley, 1999 : 66


La mondialisation, une présence dans la multitude de nos espaces contemporains
Se pose alors la question de comment faire ? Dans un monde où nous vivons ensemble mais seuls, comment percer ces « bulles », ces « sphères » (au sens de Sloterdijk) qui nous divisent tant afin de recréer une (des) agora inclusives ? Faudrait-il appuyer les espaces de débat, les espaces citoyens locaux et les faire fonctionner en réseau (au sens neuronal) ; si oui, comment prendre en compte les nouveaux espaces supra-nationaux tels que les diasporas (cf. Arjun Appadurai, Après le Colonialisme. Conséquences culturelles de la globalisation) ? Faudrait-il renverser la dynamique et s’appuyer sur les réseaux déjà présents ? Ne serait-ce alors pas un risque d’aider des rapports de forces inégaux à se créer, à se maintenir et à se développer aux dépens de voix subalternes au sein de mouvements sociaux et/ou citoyens ?

Enfin, et c’est la clé de voute de mon questionnement : est-ce réellement nécessaire de démocratiser la parole pour faire fonctionner une démocratie — ou toute société humaine ? L’urgence climatique nous permet-elle d’opter pour la démocratie ? Ou, formulé autrement, avons-nous d’autres alternatives que la démocratie pour régler un problème commun ?
À mon humble avis, la démocratie réelle, c’est-à-dire pour moi accessible à tou·te·s, est la seule à même de passer au-delà des enjeux de pouvoir gravitant autour de l’arène politique contemporaine. Seulement, il m’apparaît idéologiquement qu’il faille pour cela inverser le rapport de pouvoir entre les représentant·e·s de la parole (e.g., les député·e·s dans les démocraties occidentales) et ceux·celles qu’ils·elles représentent.

La démocratie serait donc une question de liberté de parole ?

Si un « chef » existe, il est en effet au service de la société, au point que "c’est la société en elle-même — lieu véritable de pouvoir — qui exerce comme telle son autorité sur le chef. C’est pourquoi il est impossible pour le chef de renverser ce rapport à son profit, de mettre la société à son propre service, d’exercer sur la tribu ce que l’on nomme le pouvoir : jamais la société primitive ne tolèrera que son chef se transforme en despote.
Pierre Clastres, La Société contre l’Etat, 1974 : 175 ; cité dans Riccardo Ciavolella et Eric Wittersheim, Introduction à l’anthropologie du politique, 2016 : 120

Pour précision, Pierre Clastres associe l’idée de société primitive à celle de liberté, renversant le stigmate habituellement associé à ce terme.

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Quelques propositions pour contribuer à limiter la subalternité sous la forme d’instruments de démocratie directe complémentaires à une démocratie représentative:

  • Référendums populaires sur l’adoption par le parlement des modifications des lois et de la constitution.
  • Initiatives populaires pour adopter des modifications des lois et de la constitution proposées par un comité.
    Ces deux instruments peuvent être lancés par des comités de quelques personnes. Si assez citoyens montrent leur adhésion en co-signant le projet, celui-ci est soumis à une votation populaire. Chaque citoyen exerce ainsi plus de pouvoir démocratique ce qui contribue à rendre plus motivant les débats politiques dans la population.
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Merci pour la réponse @jcamdr70,

Je crois également que des instrument de démocratie directe permettraient de compléter efficacement la démocratie représentative telle qu’on peut la connaître en France ou en Belgique.
Cependant, alors qu’on aborde la subalternité dans ses structures (inégalités systémiques tant socio-économiques que dans la représentation médiatique et culturelle), il me semble qu’il faut se montrer extrêmement attentif aux formes que peuvent prendre des instruments de démocratie directe dans une époque où les questions identitaires ont « repris du poil de la bête » et où la marchandisation croissante de l’information va alimentant les thèses faisant le buzz, peu importe les conséquences sur le tissu social.


Comme par exemple avec Valeurs Actuelles :


Ainsi lorsque vous écrivez :

Référendums populaires sur l’adoption par le parlement des modifications des lois et de la constitution.

Au-delà du risque de trop haute volatilité dans l’équilibre juridique, ne peut-on craindre l’instrumentalisation du contexte en défaveur des minorités et/ou des subalternes ? Dans un contexte où toutes les voix ne se valent pas sur la sphère publique et médiatique ; où les cookies contribuent à maintenir des bulles d’information ; où la multiplication d’informations contradictoires tendent à transformer ces bulles en bataillons idéologiques, ne faudrait-il pas se méfier qu’un référendum de forme démocratique soit sur le fond très autocratique au vu du rapport de force dans la sphère de l’information contemporaine ?
Toutefois, vous dites ensuite :

Initiatives populaires pour adopter des modifications des lois et de la constitution proposées par un comité.

Je crois également que de véritables assemblées, ou agoras, précédant la tenue de ces référendums où tous les points de vue auraient le même temps et la même qualité d’écoute, pourraient être des éléments de réponse. La question reste cependant de savoir comment se définit la pluralité des points de vue… car il subsiste un risque important de rester dans des divisions/antagonismes propres aux imaginaires de nos sociétés (e.g., richeVSpauvre ; blancVSautre ; hommeVSfemme ; citadinVSrural ; employéVSouvrier ; athéeVScroyant), dans des internalisations psycho-sociales du capitalisme néo-libéral, etc. Bref, j’y vois un très grand risque au substantialisme, à l’essentialisme — à nouveau, en défaveur des subalternes.

Vous écrivez alors :

Ces deux instruments peuvent être lancés par des comités de quelques personnes. Si assez citoyens montrent leur adhésion en co-signant le projet, celui-ci est soumis à une votation populaire. Chaque citoyen exerce ainsi plus de pouvoir démocratique ce qui contribue à rendre plus motivant les débats politiques dans la population.

Je trouve la théorie d’un cercle vertueux citoyen plutôt alléchante pour être honnête. Cependant, je crois qu’il faut se poser également la question des déterminants de l’engagement politique car il ne suffit malheureusement pas de se savoir le droit de voter pour s’en sentir le devoir ou la nécessité, comme peuvent (j’imagine) en témoigner les taux d’abstention en France et de désintérêt/mépris politique en Belgique.


Enfin, je crois que vos idées permettent de revenir sur un point essentiel : celui de l’espace démocratique. Je revenais dans ma réponse sur (les quatre éléments étant reliés les uns aux autres) :

  1. les impacts de la marchandisation de l’information sur la construction de l’imaginaire culturel/des représentations collectives
  2. le risque lié aux « bulles idéologiques »
  3. le risque d’essentialisme dans la conception de l’alter-ego citoyen
  4. le risque lié au manque d’engagement politique (nécessaire pour faire tourner une démocratie)

Le local ne serait-il pas l’espace le plus approprié pour dépasser ces dimensions ? Je crois que la rencontre de l’Autre dans un espace neutre — telle qu’une agora — puis au quotidien dans un espace de voisinage permet peut-être d’activer l’engagement politique en le faisant passer par une expérience jugée comme concrète et en réactivant la localité — l’expérience vécue quotidiennement — comme structure de sentiment, comme par exemple dans le cas du mouvement « des villes en Transition ».
Après se pose bien évidemment la question du réseautage, comment étendre des pratiques démocratiques à des contextes qui ne sont pas les nôtres (et je ne parles pas ici de différences telles que Népal/Belgique ou Russie/Ouganda, mais même à l’échelle de deux villages d’une même région aux dynamiques différentes) ?
Soit comment adapter la démocratie et la localité à la déterritorialisation caractérisant notre époque ?

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Bonjour @ScottEniatnof,

La dimension local que vous décrivez dans votre message est justement un espace de réflexion qui nous intéresse. Au-delà des réflexions nationales, nécessaires, il y a de véritables enjeux à comprendre les mouvements citoyens qui naissent à petite échelle.

Dans le cadre de nos recherches, nous avons croisé de nombreuses associations qui cherchent à développer le lien social entre les habitants. Cela peut prendre la forme de conférences, de débats, d’atelier d’éducation populaire, etc. A ce propos, les villages auto-gérés (comme Marinaleda en Espagne) ou les villes où la démocratie participative est bien implantée (e.g. Kingersheim, Saillans, Loos-en-Gohelle) sont des initiatives à suivre de près.

Merci pour votre contribution :slight_smile:

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Oups, merci d’avoir relevé l’erreur ! C’est corrigé :wink:

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J’ai supprimé mon message alors ceci n’est donc jamais arrivé :wink:

Dans la perspective des municipales de 2020 http://labelledemocratie.fr/ souhaite favoriser la reprise en main citoyenne des pouvoirs locaux sur la base de l’expérience de Saillans.
à suivre !

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Je ne sais pas sur quoi vous vous basez pour prétendre qu’un référendum populaire est « un risque de trop haute volatilité dans l’équilibre juridique ». Ca fonctionne depuis plus d’un siècle en Suisse qui est justement appréciée pour sa stabilité.

Quelles sont les alternatives à votre propagande du danger à venir ? Retirer encore plus le pouvoir au peuple pour le confier à une sorte d’élite bien pensante magiquement imperméable aux manipulations que vous décrivez, en ignorant les signes de frustrations ? Ou protéger la liberté d’expression pour détecter au plus tôt les inquiétudes et contribuer à négocier des compromis constructifs pour diminuer les frustrations ? Contrairement à ce que vous sembler présenter, un référendum populaire est un outil de défense des minorités quand il peut être lancé par un petit groupe de personne. Cela oblige tout le système politique à traiter officiellement d’une situation frustrante pour une minorité qui serait autrement ignorée.

Cet agora est une bonne illustration de la réalité d’un débat tel que vous le décrivez. En proportion des personnes inscrites du fait de leur contribution au projet, seule une partie le lisent, encore moins y débattent, et une toute petite minorité a participé à la récente votation. Je n’ai pas vu beaucoup de débats avec des évolutions significatives du positionnement des participants. Loin de dire que c’est inutile, car c’est très enrichissant de découvrir de nouveaux points de vue, mais c’est finalement rare de pouvoir mener une analyse constructive aboutissant à un résultat satisfaisant pour les parties. La méfiance que suscite les instruments de démocratie directe en est une superbe illustration alors même que c’est la France qui a historiquement inculqué ces valeures à la Suisse qui l’utilise couramment (après les avoir un peu améliorés) depuis bien longtemps. En ce sense je vois pour ma part une division/antagonisme entre parler de concepts de changements largement théoriques et proposer des instruments qui ont fait leurs preuves. Je vais être un peu provocateur: une initiative populaire est un outil efficace justement du fait qu’elle constitue un risque politique. Cela contribue à augmenter la communication sur le sujet à tous les niveaux.

Pouvoir agir simplement est le moteur essentiel qui motive une action. Si vous n’avez pas le pouvoir d’agir simplement vous allez soit vous résigner, soit rechercher un autre moyen pour agir ce qui va certainement être plus compliqué et vous demander plus de ressources. Refuser que le peuple vote sur des projets sous prétexte que le taux d’abstention est faible est une des idées les plus scandaleuses que j’ai lu sur cet agora. Absolument jamais un taux d’abstention a été faible au point d’attendre, même de très loin, la toute petite minorité des parlementaires par rapport à la population.

Souvenez-vous de la première fois que vous avez pris les commandes d’un véhicule ? Le fait de pouvoir agir permet soudain d’activer un processus cognitif impossible à approcher avec des théories, et ça change durablement la façon de penser et donc d’agir. Le processus est identique pour l’exercice de la politique. Si vous n’êtes pas convaincu, alors posez-vous la question pourquoi le seule exercice de politique national qui existe en France fait l’objet d’un tel monopole dans tous les médias pendants des mois, alors que les autres débats ressemblent plus à une partie de cache-cache en comparaison. Les potentialités d’intérêt sont là où il y a les possibilités d’actions. Cela n’implique pas automatiquement qu’il y a toujours une action, et cela ne doit pas être pris comme prétexte pour nier l’utilité d’avoir la possibilité d’agire.

Effectivement et c’est ce qui fait que l’initiative populaire est aussi intéressante: elle ne limite pas l’espace démocratique, n’importe quel sujet peut être abordé. La démocratie est un régime politique dans lequel les citoyens ont le pouvoir, donc par définition c’est au peuple de prendre les risques des décisions. Si vous tentez d’éviter cet aspect, vous créez forcément une sorte d’élite qui sera l’exutoire des risques.

Il y a pourtant en ce moment des mouvements assez forts pour parler de local au détriment d’une vision globale, ce que d’autres n’hésitent pas à décrier en retour. Beaucoup de sujets politiques sont intrinsèquement complexes, avec des experts qui avouent eux-mêmes ne pas réunir un consensus sur une meilleure action possible car tout n’est pas prévisible. Du coup, il ne faut jamais oublier que l’une des stratégies les plus efficaces à travers l’histoire pour gagner du pouvoir est de diviser l’ennemi. Des votations populaires évitent les spéculations sur les causes d’une division, ce qui permet de négocier avec une plus grande efficacité. Les discussions locales c’est bien joli, mais c’est épuisant car personne n’a de réel intérêt à trouver un compromis, tout en étant potentiellement à côté du vrais sujet. A un moment c’est bien plus constructif d’avoir une information fiable sur ce que pense le peuple dans sa globalité.

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J’aurais sans doute pu (du) écrire équilibre social à la place d’équilibre juridique. J’aurais pu mieux le formuler, car j’entendais surtout l’équilibre juridique dans le cadre du risque d’instrumentalisation du contexte en défaveur des minorités, ou un équilibre de représentation si vous préférez.

Prenons le cas de la Belgique par exemple.
L’Article 4 de la Constitution, ainsi que la Loi du 8 novembre 1962 délimitent quatre régions linguistiques :

A. Le Nord néerlandophone, la Flandre, représentant 57% de la population, qui soutient majoritairement des partis de centre-droit libéraux, voire d’influence tatchériennne, dont la N-VA, premier parti de Belgique (Nieuw-Vlaamse Alliantie) aux relents nationalistes d’extrême droite ;

B. Le Sud francophone, la Wallonie, représentant 32% de la population, qui soutient principalement les partis traditionnels, surtout à gauche… bien que le PTB (Parti Travailliste Belge) connaisse une belle remontée tant au Sud qu’au Nord depuis le début de ce mandat ;

C. L’Est germanophone, représentant 0.7% de la population, qui a une dynamique socio-politique semblable à celle de la Flandre mais plus modérée (centre-droit et revendications autonomistes), si ce n’est qu’elle est loin d’avoir le même poids démographique ;
https://www.cairn.info/revue-courrier-hebdomadaire-du-crisp-2008-1-page-7.htm

D. La région de Bruxelles-Capitale, représentant 10% de la population, majoritairement francophone et retraçant une dynamique socio-politique semblable à celle de la Wallonie, à l’exception d’une plus grande diversité de partis.

https://www.cairn.info/revue-courrier-hebdomadaire-du-crisp-2007-3-page-5.htm


Pour aller plus loin sur l’Histoire de la Belgique, je recommande vivement ces lectures :
• Eggerickx Th. et J-P. Sanderson (2010), Histoire de la Population de la Belgique Et de Ses Territoires: Actes de la Chaire Quetelet 2005, Presses Universitaires de Louvain, 692p.
• Lacrosse J-M. (1997), « La Belgique telle qu’elle s’ignore », Le Débat 94 (2) : 14-41.


Si des référendums peuvent trouver une véritable légitimité (àmha) lorsqu’il s’agit de changements politiques majeurs (comme dans le cadre du droit à l’auto-détermination), sont-ils capables d’exprimer autre chose qu’un rapport de force dans des questions clivant déjà la société où ils ont lieu ? Dans le cas de la Belgique, quelle force donner à un référendum en fonction de sa provenance (soit majoritairement germanophone, néerlandophone ou francophone par exemple) ? S’il représente l’ensemble d’un peuple sans tenir compte de la diversité d’opinions, ne risque-t-il pas d’agir comme un dictat de la majorité sur les minorités ? Et il ne s’agit ici que d’un cas où on repère trois grandes communautés socio-linguistiques… imaginons dans le cas d’un pays comme, par exemple, le Népal où on dénombre plus de 120 groupes ethniques/de castes et presque autant de langues et où les conflits peuvent prendre des formes bien plus violentes (la guerre civile ne s’est clôturée qu’en 2008 et rien que l’année passée on a compté plus d’une cinquantaine de morts dans des affrontements avec la police militaire et d’une centaine de déplacés internes dans des violences inter-communautaires).

Loin de me faire l’avocat de tout impérialisme démocratisant ou de tout autre universalisme, il me semble que des volontés démocratiques ont émergé aux quatre coins du globe et qu’il reste important d’appliquer du cas par cas afin d’envisager la démocratie comme un système aux nombreuses modalités (j’en profite pour poster ici cette très chouette intervention de Pierre Rosanvallon aux jeudis de l’IMA). C’est pourquoi, si le modèle de référendum populaire peut apporter des éléments de réponses à une Démocratie Idéale, il convient — je crois — d’observer sa portée et les risques qu’il implique dans des sociétés moins paisibles que la Suisse (bien que je n’idéalise pas la Suisse, il ne faut pas hésiter à me corriger je connais mal ce pays).


Quel danger à venir ? J’ai en tête l’exemple du Brexit qui est à la fois très contemporain et montre l’instrumentalisation éhontée de certains affects populaires (e.g., précarité de l’emploi et peur de l’immigration ; précarité de l’emploi, pauvreté et faiblesses des institutions de protection sociales).

Cet exemple met justement en avant la force des campagnes mensongères/de propagande dans le cadre de référendums avec un rapport de force avantageux… pour ceux qui peuvent se l’acheter, en l’occurrence une « élite » (qu’elle soit bien-pensante ou non).
Premièrement, je suis très loin d’être un partisan d’une technocratie comme de celle du socialisme scientifique prônée par de nombreux idéologues marxistes — et s’il faut vous en convaincre, je vous invite à relire les deux derniers paragraphes de mon premier message.
Deuxièmement, cet argument ne s’arrête pas aux portes des référendums, mais s’étend bel et bien à l’ensemble de l’édifice démocratique (j’en veux pour funeste exemple celui de Donald J. Trump). Ainsi, loin de moi l’idée d’écarter toute possibilité de référendum, je crois juste qu’il faut examiner cette modalité avec la même vigilance que toute autre.

Pourriez-vous me donner un exemple svp ? Si cela paraît ironique cela ne l’est pas du tout, je suis réellement curieux et relativement mal-informé, les exemples que j’ai en tête étant malheureusement tâchés des stigmates du jeu politicien et dépendants de rapports de force économiques et politiques défavorables aux minorités comme dans le cas du Brexit.


Il y aurait donc, selon vous, ceux qui parlent du réel (« des instruments qui ont fait leurs preuves ») et ceux qui parlent de l’idéologie (« concepts […] largement théoriques ») ? Cet argument — omniprésent dans le discours néo-libéral — ne tient pas compte du fait que la théorie en sciences humaines vise à élaborer des grilles de lecture au réel et n’est pas antinomique de la pratique. Allons plus loin : si « des instruments qui ont fait leurs preuves » l’ont bel et bien fait par le passé, sont-ils pour autant reproductibles de manière immaculée dans des contextes et dynamiques différents ? Les connaissances théoriques permettent de poser le regard sur ces questions avant, pendant et après l’action. De plus, opposer pratique et théorie revient à dire que, in fine, les actions existent en elles-même, dénuées d’intentionnalités et en dehors des structures sociales, ce qui me paraît réellement difficile à soutenir intellectuellement.

Est-ce que vous pourriez développer svp ? Qu’entendez-vous par « risque politique » et "augmenter la communication sur le sujet à tous les niveaux ?


Je ne suis pas du tout d’accord. On ne peut, de bonne foi, soutenir que seul la possibilité d’agir entraîne l’action. Pas en ayant lu un peu de sociologie en tout cas (laquelle, pour rappel, se base de plus en plus sur la recherche empirique et inductive, et ne peut donc être considérée comme des élucubrations théoristes). Je vous suggère vivement de vous informer sur les modèles développés par Pierre Bourdieu, Maurice Godelier, ou d’autres auteur·e·s (voir schémas).


(images issues d’un Groupe de travail sur la “Théorie de l’action”, G.Beuchot, M.Filippi, J.Perrin G. Beuchot avec la collaboration de M.F. Kouloumdjan, 2003)

Sans pour autant restreindre les motifs de l’action à une logique aussi triviale que l’utilité marginale, tout dépend du but/motif envisagé de l’action et de la représentation que l’on se fait des moyens pour y parvenir. On peut tout à fait se restreindre d’agir par découragement, par fatalisme (ou tout autre forme de relativisme), ou par espoir que l’action envisagée sera entreprise par quelqu’un d’autre/un autre groupe. C’est ce qui explique, entre autres, la torpeur que l’on peut observer dans le cas d’une agression en public.

Ce n’est absolument pas mon idée et je ne cherche ni à justifier ou excuser mais à expliquer, comprendre (ou illustrer) dans cette phrase : [quote=« ScottEniatnof, post:3, topic:3210 »]
il faut se poser également la question des déterminants de l’engagement politique car il ne suffit malheureusement pas de se savoir le droit de voter pour s’en sentir le devoir ou la nécessité, comme peuvent (j’imagine) en témoigner les taux d’abstention en France et de désintérêt/mépris politique en Belgique
[/quote]

Ensuite vous faites l’allégorie suivante : [quote=« jcamdr70, post:9, topic:3210 »]
Souvenez-vous de la première fois que vous avez pris les commandes d’un véhicule ? Le fait de pouvoir agir permet soudain d’activer un processus cognitif impossible à approcher avec des théories, et ça change durablement la façon de penser et donc d’agir. Le processus est identique pour l’exercice de la politique. Si vous n’êtes pas convaincu, alors posez-vous la question pourquoi le seule exercice de politique national qui existe en France fait l’objet d’un tel monopole dans tous les médias pendants des mois, alors que les autres débats ressemblent plus à une partie de cache-cache en comparaison.
[/quote]

Premièrement, je ne vois pas du tout le lien entre l’apprentissage de la conduite, soit d’une capacité psychomotrice, et l’exercice de la politique, soit des relations de pouvoir, de l’usage du discours symbolique et des variables contextuelles. La question politique, si elle a des impacts sur la façon dont notre corps existe en société, mobilise avant tout des ressources sociales, symboliques (bien qu’on puisse débattre du fait de sortir le symbolique du social…) et intellectuelles ; il ne s’agit pas d’un apprentissage pratique mais de représentations.
Deuxièmement, je ne crois pas qu’on puisse limiter l’exercice de politique nationale française aux élections présidentielles, qu’il s’agisse d’affaires courantes, de faits divers, de Lois (im)populaires, etc. le monde politique contemporain (officiel, les élus) doit prendre parole, se rendre aussi omniprésent médiatiquement que possible, pour maintenir son existence et sa légitimité. De plus, j’ai la conviction que depuis septembre 2001, l’élection présidentielle est loin d’être une priorité médiatique et politique — en termes d’intensité dans la durée — comparée à ce que sont devenues les questions identitaire (en France comme ailleurs) et « économiques » (i.e., le discours néo-libéral principalement).

Les potentialités d’intérêts ne se trouvent pas uniquement là où il y a des possibilités d’action, l’action nécessite un leitmotiv. Tous les individus et groupes sociaux ne souhaitent pas nécessairement être impliqués à un niveau décisionnel dans les choix de société tant qu’il subsiste pour eux·elles une possibilité de reproduction socio-culturelle et/ou de survie. C’est pourquoi loin de moi l’idée de nier l’utilité de la possibilité d’agir. Je crois qu’il faut aller au-delà de la possibilité et apporter une démarche de nécessité d’agir, soit d’être un citoyen à part entière. Pour moi, c’est le rôle du processus éducatif (pas uniquement l’école, mais également la communication publique, le contexte dans lequel nous évoluons, bref l’environnement social dans lequel le développement socio-cognitif s’effectue). La démocratie, pour réellement exister — et à mon humble avis — doit devenir un mode d’exister, une religion (au sens de la religion civile romaine).


Nous sommes bien d’accord.


Je ne nie bien évidemment pas la complexité d’une telle entreprise, je n’ai pas non plus une réponse appropriée et universelle. Ce que j’appelle de mes vœux n’est pas de recourir au Divide et impera, mais d’accorder la voix au chapitre à tou·te·s, et ce, peu importe du statut social, économique, culturel ou autre. Ensuite, vous évoquez tour à tour la nécessité de « négocier avec une plus grande efficacité » et une certaine réticence à la négociation dans un cadre local car elle serait « épuisante » et le compromis ne serait dans l’intérêt de personne (alors que je crois qu’il est justement du côté de l’intérêt de tou·te·s) tandis qu’on serait « potentiellement à côté du vrai sujet ». Mais ne serait-ce pas alors risquer de nier la voix au chapitre des plus marginalisés/des subalternes, que de placer l’intérêt global au-delà de l’intérêt de tou·te·s ? Évidemment certains choix doivent se prendre à des échelles dépassant le local, comme par exemple la justice climatique, mais en incluant au débat la voix de celles et ceux qui n’ont traditionnellement pas voix au chapitre on passe d’une décision commune à un débat commun. Et c’est là pour moi la grande différence entre une démocratie de débat et de référendum, les deux étant — à mon sens — complémentaires.

Les notions « d’information fiable » et de « ce que pense le peuple » me posent problème. Homi Bhabha en parlait avec de meilleurs mots que les miens :

Le concept d’un peuple n’est pas ‘défini’, comme une part essentielle, déterminée par la classe, unitaire et homogène de la société préalable à la politique ; ‘le peuple’ est présent en tant que processus d’articulation politique et de négociation politique autour desquels un éventail complet de contradictions sociales s’établissent. ‘Le peuple’ existe toujours comme une forme d’identification multiple, attendant d’être créée et construite.
Rutherford J. (1990).« The Third Space. Interview with Homi Bhabha. » In: Ders.(Hg): Identity: Community, Culture, Difference, pp. 207-221, Lawrence and Wishart, Londres, p. 220, [traduction personnelle].

Comment aboutir à définir ce que pense le Peuple alors que ce concept représente lui-même une série complexe de contradictions ? Je ne crois pas que la démocratie puisse se penser à l’aide du Peuple sinon à l’aide de concepts tels que l’Humanité et la Citoyenneté.

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Tout d’abord merci d’avoir pris le temps pour rédiger un commentaire aussi détaillé. :slight_smile: :thumbsup:

Je n’ai repris que cette phrase car il me semble qu’elle résume bien le doute porté aux référendums (et aux initiatives). Je pense que ce qui est la source d’un conflit dans le contexte d’une votation sur un référendum ou une initiative, c’est l’impossibilité pour certains d’accepter un résultat qui ne leur convient pas. Je ne vois pas d’autres solutions que la négociation pour tenter d’identifier un autre compromi acceptable par toutes les parties. Une votation populaire n’est qu’un outil qui peut permettre de valider une solution préalablement négociée. Si elle est utilisée comme une arme d’oppression, c’est qu’il y a déjà un conflit en cours qui ne pourra être résolu avec le simple fait de voter.

Concernant les problèmes entre les régions, si une solution simple existerait elle serait certainement déjà appliquée. Une votation populaire pourrait dans cette éventualité marquer la fin du conflit, mais ce n’est pas le simple fait de voter qui résout le conflit, mais bien le travail fait en amont pour présenter une solution acceptable. Ce processus est très bien illustré par ce qui s’est passé en Colombie:

Alors que la plupart des signaux semblaient indiquer que l’accord si péniblement négocié allait être adopté par le peuple, le rejet en votation a permis de découvrir qu’en fait il restait encore de nombreuses frustrations. En conséquence aux reproches des opposants, un nouvel accord de paix a été négocié et signé. Dommage que le gouvernement n’ose pas le valider avec une nouvelle votation populaire, cette adoption aurait été une grande victoire. Cela dit, on voit bien dans cet exemple que ce n’est pas la votation qui est le problème, mais bien la négociation de la solution.

Le référendum obligatoire a été mis en place en Suisse dans la constitution de 1848 après la guerre civile de 1847, dans un contexte pas vraiment paisible: Guerre du Sonderbund — Wikipédia Mais encore une fois, ce n’est pas cet instrument qui par sa seule existence assure la stabilité. Il est par contre un outil très intéressant pour pousser à négocier des compromis acceptables qui eux assurent la stabilité. J’ai tendance à penser que c’est un instrument qui peut potentiellement augmenter la qualité d’une solution.


Je vous cite:

Dans un contexte où toutes les voix ne se valent pas sur la sphère publique et médiatique ; où les cookies contribuent à maintenir des bulles d’information ; où la multiplication d’informations contradictoires tendent à transformer ces bulles en bataillons idéologiques,

Il serait pourtant bien hasardeux de prétendre que tout les britaniques ont une vie satisfaisante ou que l’Union Européenne a démontré une gestion exemplaire des problèmes. Rejeter tout cela sur de la propagande est aussi une façon un peu facile de nier le problème, et c’est justement cette attitude qui exacerbe la frustration initiale, car quoi qu’on en dise, cette frustration existe. Mon point de vue est que c’est l’incapacité à diminuer la frustration qui a été le moteur important du processus. Si la frustration était effectivement infondée, il aurait été probablement bien moins onéreux de l’adresser correctement que de faire un Berxit. Il faut donc envisager que la frustration avait une cause plus sérieuse au point qu’une crise était inévitable. Je partage l’avis que le Brexit est une solution assez extrême, mais en même temps j’observe que les pouvoirs en présence n’ont pas réussi à présenter une autre solution plus acceptable.

:slight_smile:

Le liste est assez longue:
https://www.admin.ch/ch/f/pore/rf/ref_2_2_3_1.html?lang=fr
Et pour les initiatives:
https://www.admin.ch/ch/f/pore/vi/vis_2_2_5_1.html?lang=fr

Dans bien des cas, ce sont des comités de quelques personnes très largement minoritaires qui ont déposés officiellement ces demandes. Sans les référendums et les initiatives, ces quelques personnes n’auraient vraisemblablement pas réussies à activer aussi simplement un processus politique aboutissant potentiellement à une votation nationale. La première utilité c’est que c’est officiel au niveau fédéral et donc hautement visible. Dans bien des cas cela suffit à entamer une discussion entre les parties concernées. Il n’est pas rare qu’une solution soit trouvée déjà à ce stade et que l’initiative soit retirée mais cela peut aussi arriver plus tard, y compris avec une solution de contre-projet proposée par le gouvernement. C’est précisément ce qui s’est passé pour l’objet no1 de la prochaine votation 24 septembre:

Donc oui, je pense que les outils de démocratie directe sont très efficaces pour défendre des opinions initialement minoritaires.


Ce n’est pas aussi tranché et nullement une affirmation sur les théorie en sciences humaines, mais en essayant de me faire une idée de ce que les participants préfère débattre, j’admets ressentir quelque chose de cet ordre là. Je ne suis de façon évidente pas neutre en tentant de trouver dans les nombreuses propositions d’améliorations politiques (largement théoriques) discutées sur ce agora des propriétés similaires à celles qu’il me semble observer avec les instruments de démocratie directe (éprouvés) que j’ai la chance de pouvoir pratiquer (on est en tout les cas très peu à en parler ici). C’est bien naturel d’avoir quelques incompréhensions à lever dans une telle confrontation, mais je découvre avec cette expérience que ce n’est pas la seule difficulté. Je pensais naïvement que ce serait plus simple de comparer avec une objectivité acceptable les différentes propositions. En fait c’est difficile d’arriver à ce stade et je ne sais pour l’instant pas par quel entourloupe je vais éventuellement comprendre comment y arriver… Ce n’est pas forcément simple d’apprendre mais c’est encore plus compliqué quand on ne sait pas ce qu’il faut apprendre (je parle pour moi).

En dehors du fait que mon intention initial n’était pas de provoquer un débat là dessus, je reconnais que la question est intéressante. Je ne sais pas si il existe une théorie capable d’analyser la reproductibilité des instruments de démocratie directe ans des contextes (à définir) et des dynamiques (à définir) différentes. En attendant, j’utilise l’argument pragmatique que ça a fonctionné de nombreuses fois depuis bien longtemps maintenant, donc dans des contextes et des dynamiques différentes, même si leurs enveloppes sont certainement très restreintes en comparaison de ce que pourrait explorer une théorie. C’est très imparfait, et je comprends bien que je ne vais pas convaincre un théoricien avec ça, mais d’un autre côté je me dis qu’un tel historique ne peut pas non plus être simplement ignoré sous prétexte qu’il n’y a pas (encore) de théorie.

Une initiative populaire est une procédure qui aboutit potentiellement à l’adoption par le peuple d’un texte rédigé en dehors du gouvernement. Vous pouvez me croire sur parole, le gouvernement déteste ce genre de situation ! Se faire remettre en place par un petit comité d’initiative approuvé par la majorité de la population entame la crédibilité des travaux du gouvernement sur le sujet de la votation et c’est en ce sense que c’est un risque politique. Le gouvernement a donc un intérêt à négocier un compromis acceptable si il craint que la votation pourrait aboutire, ce qui force à augmenter la communication non seulement entre le gouvernement et le comité d’initiative, mais qui inclut également le parlement et toutes autres entités qui pourraient influencer le vote (syndicats, patronats, associations, etc…) Le but politique du gouvernement est de faire retirer l’initiative au profit d’une solution auquel il a participé. Cela peut prendre la forme d’un contre-projet direct ou indirecte, mais cela ne suffit pas toujours pour convaincre le comité de retirer leur initiative et ce sera donc le peuple qui tranchera. Ce n’est pas courant, mais parfois le gouvernement a perdu contre le comité d’initiative à ce jeux là, avec pour conséquence à avoir à appliquer une décision qu’il n’a pas approuvé, ce qui constitue une situation généralement délicate pour lui, un peu similaire à la décision d’un tribunal qu’il faut appliquer. J’espère que cette description permet de ressentir ce que je tentais d’exprimer par « risque politique ». Alors que dans bien des pays la vie politique se résume à ce qui se passe à l’intérieur du gouvernement, la vie politique en Suisse contient quasiment tout le temps des référendums obligatoires, des référendums facultatifs et des initiatives qui incluent constamment la population dans les débats politique puisque c’est le peuple qui aura dans tout les cas le denier mot sur tout les sujets. Ce mode de fonctionnement oblige une communication bien plus poussée avec le peuple que si le gouvernement avait le pouvoir d’imposer ses décisions.


Oups! En écrivant trop vite un bout d’idée incomplète, je me ramasse grave… :disappointed_relieved:
Effectivement vous avez raison. Je vais tenter d’exprimer autrement ma pensée.

Si on imagine deux démocraties représentatives identiques qui doivent faire face aux mêmes problèmes mais qui ont pour seule différence la présence ou non d’instruments de démocratie directe, je prétends que dans celle où les instruments sont présents les citoyens vont préférer les utiliser si ils sont simples plutôt que devoir s’investir dans des méthodes plus indirectes, avec plus de risque d’être inefficaces et/ou conflictuelles (pétitions, manifestations, grève, occupation, etc…). Je pense effectivement qu’en Suisse les instruments de démocratie directe sont simple à utiliser et que cela contribue à donner une possibilité supplémentaire et plus facile pour agire sur le plan politique. Comme c’est plus facile, plus de citoyen l’utilise, ce qui correspond chaque fois à une action politique qui serait moin fréquence sinon.

Je prétends même que le phénomène est quantifiable: En Suisse, un petit pays avec un ordre de grandeur de ~5 millions de votants pour simplifier, on vote sur un ordre de grandeur de ~10 objets par année pour simplifier avec un taux de participation d’un ordre de grandeure de ~40% pour simplifier, voir les statistiques à partir de 2010 ici: Participation aux votations | Office fédéral de la statistique
Cela fait en pour simplifier 5’000’000 * 10 * 40% = 20 millions d’actions politiques par année ! (sans compter les élections et les objets cantonaux et communaux). Maintenant tentez de comptabiliser toutes les tentatives d’actions politiques qui ont abouties au cours d’une année dans un pays qui n’a pas d’instrument de démocratie directe. Le nombre de personnes impliquées dans des pétitions, des grèves, des actions syndicales, des manifestations, des occupations, etc… qui ont effectivement influencés la politique du gouvernement. Sérieusement, je doute que vous arriviez à un total approchant celui où les instruments de démocratie directe sont facilement utilisables. C’est ce raisonnement qui me fait penser que si une action politique est facile et sera vraisemblement utilisée plus souvent. Au passage, observez qu’un taux de participation assez modeste de 40% n’est pas vraiment un problème pour totaliser massivement plus d’actions politiques quand il y a des instruments efficaces, comparé à si il n’y en a pas.

A contrario, je pense que dans des systèmes politiques où il n’y a pas de moyens faciles pour agir politiquement, les citoyens doivent utiliser des méthodes plus difficiles, ce qui va limiter l’intérêt à la politique à une bonne partie d’entre eux, du moins tant que ça leur semble supportable.

Forcément ce ne sont pas les mêmes circuits qui vont apprendre, les tâches étant différentes, mais le principe d’apprentissage reset très comparable. Il y a initialement, avant la première expérience réelle, une différence entre faire et imaginer faire. La pratique est le plus souvent le moyen le plus simple pour rapprocher les deux avec le temps (on peut aussi s’en approcher avec de gros efforts de représentation en étant très motivé). Je pense que cette différence d’expérience est une réelle difficulté pour se comprendre mutuellement quand chacun propose une solution que l’autre n’a pas eu l’occasion de pratiquer. Un des aspects de la négociation consiste justement à tenter de rapprocher les expériences des participants.

Désolé, mais si l’on restreint l’analyse aux actions politiques effectives du peuple Français, on ne peut compter les salades que le gouvernement tente de leur faire avaler sans broncher à grand renfort de présence médiatique ou les propagandes électorales consistant en des programmes politiques à la crédibilité discutée. L’augmentation de la frustration n’est pas un phénomène découplé de ce manque de possibilité d’exercice politique. Bien des paris ont correctement identifié cette frustration et ont proposés « plus de démocratie » « plus de référendums » ou des d’autres propositions dans cette directions.

Je suis d’accord avec vous. Convenez que c’est tout de même plus commode d’éduquer à voter que d’éduquer à faire une pétition, une grève, une occupation, etc… Cela influence aussi à partir de quel niveau on ressent la volonté d’agir.


En me relisant je découvre que j’ai utilisé le mot local pour deux notions différentes, ce qui provoque une confusion. Lorsque je disais « discussions locales », je devrai dire « discussions dans des associations locales » ou « en communauté » (par ex. cet agora). Dans ces contextes, les échanges peuvent être interminables sans forcément contribuer à un sentiment de rapprochement entre les participants, ce qui peut effectivement être épuisant. Le drame c’est que sans connaître le résultat d’une votation populaire, toutes les possibilités sont encore ouvertes, ce qui alimente un grand nombre de spéculations dans les débats et rend le tout encore plus épuisant.

Ne cherchez pas trop loin, dans le cadre d’une votation populaire le peuple c’est l’ensemble des citoyens ayant le droit de vote et l’information fiable et le résultat de la votation. C’est très pragmatique. Je vois que l’expression « ce que pense le peuple » vous semble étrange, mais là encore n’espérez pas y trouver des analyses détaillées, mais juste la conclusion de la pensée. Une analogie est la situation où votre cerveau doit prendre une décision avec des informations contradictoires. En interne il y a en même temps des idées différentes un processus (une sorte de votation) va aboutir à sélectionner une des idées. Aussi complexe que soit ce qui se passe en interne dans votre cerveau, pour un observateur externe c’est à priori invisible et ce qu’il va vous assigner comme pensée est l’idée que vous avez sélectionnée et exprimée. Quand on dit « cette personne pense qu’il faut faire comme ça », on peut aussi bien dire « le peuple pense qu’il faut faire comme ça » alors que c’est clair que le processus parmis les citoyens est bien plus compliqué, mais on en fait abstraction.

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Avec plaisir ! Désolé de répondre relativement épisodiquement : je suis malheureusement assez débordé ces temps-ci !

Un débat inclusif dans la gestion des conflits serait donc préalable à tout référendum si je suis votre raisonnement ? Si oui, je ne peux être que d’accord. Il faudrait alors poser la question du modus operandi de ces débats, notamment lorsqu’ils concernent des espaces aussi larges que les espaces nationaux et internationaux.

C’est pourquoi, lorsque vous écrivez :

je crois qu’on peut alors revenir à certains mérites de la démocratie représentative. Si ce n’est, en effet, pas un système parfait, il reste néanmoins un terreau fertile pour des expériences démocratiques par la possibilité qu’il offre de faire dialoguer des réalités différentes au sein d’un même espace. Là où il peut être remis en question c’est, à mon avis, dans la représentativité qu’offrent le système "particratique " contemporain, tout particulièrement vis-à-vis des voix subalternes.

Nous savons trop la protection que les esclaves peuvent attendre quand les lois sont faites par leurs maîtres.
John Stuart Mill, De l’assujettissement des femmes (1869)
Femmes et partis politiques en Italie et en Europe : la démocratie au masculin | Cairn.info


Pour ce qui est de votre analyse de la situation colombienne, je la partage dans une grande mesure, les négociations de paix étant en général bien moins fructueuses, l’exemple colombien met bien en avant les capacités qu’ont les référendum à mettre en avant des situations politico-sociales complexes.

Je suis d’accord sur l’utilité de l’instrument. Je rajouterais : même lorsque la situation est connue et des institutions mises en place pour négocier la sortie de conflit, il est à tout prix nécessaire de maintenir un processus participatif à moyen et long-terme afin d’éviter des dynamiques top-down qui tendent souvent à préserver les intérêts d’un groupe dominant au dépens de l’ensemble de la population, a fortiori des minorités. Le cas de la Truth and Reconciliation Commission népalaise est malheureusement parlant à ce propos :


Par rapport au Brexit, je crois qu’on s’est mal compris. Lorsque j’écris : [quote=« ScottEniatnof, post:10, topic:3210 »]
l’exemple du Brexit qui est à la fois très contemporain et montre l’instrumentalisation éhontée de certains affects populaires (e.g., précarité de l’emploi et peur de l’immigration ; précarité de l’emploi, pauvreté et faiblesses des institutions de protection sociales).
[/quote]

je ne nies nullement que ces affects sont provoqués par des réalités. Encore plus loin de moi l’idée de soutenir qu’il ne s’agit que de propagande.

De mon point de vue, la question n’est pas tant la frustration en tant que telle (qui est plus l’héritière des politiques néo-libérales des conservateurs, a fortiori de la Dame de fer, défendant les intérêts des classes dominantes du Royaume-Uni, que le résultat de « l’intégration à l’Europe »). Mais la façon dont elle a été instrumentalisée par ceux qui avaient les moyens (financiers) de le faire, c’est-à-dire par Nigel Farage, Boris Johnson et toutes les autres figures moins visibles. Le problème est qu’il n’y a eu pas de débat réellement inclusif avant de proposer un référendum à choix binaire, ce fut une décision politique dans un système politique verrouillé.
Quant à la dynamique du Brexit, l’analyse d’Ophélie Siméon permet d’éclairer pas mal de choses :
https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01574703/document


Merci pour les exemples et l’explication détaillée sur la dynamique suisse !


Je crois que vous pouvez parler pour beaucoup de monde en disant ça, dont moi. Je crois même que la quête vers la démocratie nécessite beaucoup d’humilité intellectuelle, de tous et toutes. Vouloir éduquer l’Autre à sa vérité a tout d’une démarche autoritaire et, à mon sens, incompatible avec l’essence même de la démocratie telle que je la conçoit. Au contraire, je crois qu’il faut retourner vers l’idée d’un apprentissage commun, en se servant d’outils d’éducation populaire tels que ceux élaborés par Paulo Freire[quote=« jcamdr70, post:11, topic:3210 »]
En dehors du fait que mon intention initial n’était pas de provoquer un débat là dessus, je reconnais que la question est intéressante. Je ne sais pas si il existe une théorie capable d’analyser la reproductibilité des instruments de démocratie directe ans des contextes (à définir) et des dynamiques (à définir) différentes. En attendant, j’utilise l’argument pragmatique que ça a fonctionné de nombreuses fois depuis bien longtemps maintenant, donc dans des contextes et des dynamiques différentes, même si leurs enveloppes sont certainement très restreintes en comparaison de ce que pourrait explorer une théorie. C’est très imparfait, et je comprends bien que je ne vais pas convaincre un théoricien avec ça, mais d’un autre côté je me dis qu’un tel historique ne peut pas non plus être simplement ignoré sous prétexte qu’il n’y a pas (encore) de théorie.
[/quote]

Les dynamiques politiques dépendant d’énormément de facteurs contextuels (endogènes comme exogènes), il est relativement difficile d’observer l’éventuelle reproductibilité d’instruments démocratiques d’un contexte à un autre… des instruments fort différents sur la forme pourraient servir le même objectif sur le fond. Je n’ai pas fait de recherche là-dessus (et je serai ravi d’en apprendre plus si quelqu’un à des documents là dessus) mais ça me semble difficile à évaluer sans tomber dans le piège d’universalismes. Toutefois, la structure politique d’État-nation représente la majeure partie des populations humaines et je crois que la question de la représentativité démocratique (au sens de l’accès au discours pour toutes les voix, l’effacement de la subalternité) peut s’opérer dans bien des endroits, la forme changera cependant (à mon avis) inévitablement (je renvoie par rapport à cet argument à la vidéo de l’entretien avec Pierre Rosanvallon que j’ai posté plus haut). Ainsi, si des expériences historiques ont bel et bien fait leurs preuves, il reste essentiel d’observer les structures dans lesquelles elles ont prit place (e.g., contexte socio-économique, structures familiales et démographiques, mobilité spatiale) pour mieux pouvoir les reproduire.


Oui c’est très clair, merci ! Donc, si je vous suis bien, le référendum obligatoire agit comme un contre-pouvoir face aux institutions démocratiques. Je continue cependant de croire que dans bien des situations, a fortiori celles où existent des conflits/clivages ethniques/communautaires (qu’ils soient construits, instrumentalisés, etc. ou non), il reste essentiel de ne pas viser la majorité pour elle-même mais d’y aboutir à travers une discussion non-aliénante et incluant toutes les voix (ce qui doit se faire, à mon avis, par le biais de la représentation — pas forcément élective (on peut creuser du côté du tirage au sort) — pour des raisons techniques).


Alors oui on est d’accord, s’il existe des instruments de démocratie qui gardent une légitimité et une facilité d’accès/d’emploi aux yeux des citoyens, ils contribuent à la participation et à la confiance dans un système (ou ses possibilités). C’est peut-être également un facteur qui contribue à expliquer la montée des idées autoritaires un peu partout dans le monde (avec la croissance des classes moyennes, l’omniprésence de discours anxiogènes, la hausse des inégalités, etc.).

Mais pourquoi restreindre l’exercice démocratique du "peuple français " à cela ? Au delà des différents points que j’ai mentionné dans mon message précédent concernant les actions politiques des _mandataires_français ; les initiatives de désobéissance civile (e.g., les ZAD, l’accueil de réfugiés), le mouvement des villes en Transition, la montée des actions xénophobes et de groupuscules identitaires (e.g., Fdesouche, Génération identitaire), les grèves, les manifestations, le mouvement Nuit Debout, etc. ne sont-ils pas des actions politiques en bonne et due forme, bien qu’elles soient pratiquées par des franges sociologiquement différentes du "peuple français " ?

Je crois qu’il ne s’agit pas d’éduquer à faire telle ou telle action du circuit démocratique plus qu’une autre, je crois qu’il s’agit avant tout d’éducation à la citoyenneté, d’inclure dans le processus éducatif la légitimité d’être un acteur politique dans sa société et les « moyens techniques » d’y arriver — ce qui inclut le travail sur l’écoute et la prise de parole.

Pour avoir déjà participé à des assemblées générales d’associations, il me semble que ce ne sont pas des problèmes insurmontables lorsque sont nommés des animateurs, des secrétaires, etc. en nous donnant des structures capables de maintenir le débat sur une ligne directrice et capables de donner la voix à tous et toutes, je crois que le débat, même à large échelle, peut rester une arme de choix pour la démocratie. Même s’il est clairement incomplet de par son manque de prise en compte des réalités démographiques et de pouvoir, le mécanisme de l’Assemblée générale de l’ONU peut servir d’exemple sur certains points (notamment l’accès à la prise de parole).


Pour reprendre votre allégorie, je crois qu’assigner une interprétation de ce qui est exprimé comporte toujours un risque d’agir, pour l’observateur ou le représentant, de manière réactive et non pas proactive. Il représenterait le peuple sans pour autant représenter sa complexité. Ce qui, pour moi, fait écho à la thématique soulevée par cette vidéo de DataGueule en ce qui concerne les enjeux démocratiques liés à l’analyse de l’information aujourd’hui :

Au plaisir de vous lire !

Oui, un débat aboutissant à la négociation d’un compromi acceptables est requis. La votation ne fait que rendre officiel la décision du peuple concernant le sujet du vote. SI le sujet n’a pas été négocié, la votation a peu de chance d’être perçue comme constructive. Les débats législatifs ont un protocole publique assez formel, mais en dehors du parlement, je ne connais pas de limitation à la forme que peut prendre une négociation.

Je suis d’accord. A noter que c’est entre autre pour cela que je prends maintenant soin de parler « d’instrument de démocratie directe » et non pas de « démocratie directe ». La première première formulation permet de faire percevoir que c’est un complément un système politique (généralement la démocratie représentative). La seconde formulation a tendance à se suffire ce qui pose 2 problèmes pratiques:

  • Faire penser qu’il y a une exclusion mutuelle entre les deux systèmes.
  • Attirer toutes les critiques relatives à la démocratie directe pure.

Pour être un tant soit peu plus complet il faudrait donc parler de « démocratie représentative avec des instruments de démocratie directe ».


Le document que vous indiqez, écrit juste avant le vote du Brexit, n’est pas confirmé par la réalité: UKIP a quasiment disparu depuis malgré un vote conforme à sa position, et Jeremy Corbyn est toujours bien là malgré un vote contraire à sa position. Je me permet donc d’avoir quelques doutes quand à la validité de l’analyse sur l’instrumentalisation dans l’issue du vote. Si il est évident que le vote a créé des stratégies et des propagandes, on ne peut pas les utiliser pour les tenir pour seules responsables du ‹ yes › et ainsi occulter une frustration qui a été ignorée trop longtemps par le gouvernement. Ma lecture, c’est justement en attendant trop longtemps que cette frustration est devenue un enjeu politique majeur qui a finalement piégé Cameron alors qu’il pensait en tirer une légitimité.


On est bien d’accord.


En Suisse les référendums (obligatoire, facultatif) et l’initiative font parties des institutions démocratiques. Je ne me souvient pas les avoirs vus présentés comme des contre-pouvoir. J’explique cela par le fait que la constitution fédérale ne laisse pas de place au doute: le peuple est le souverain (techniquement par l’intermédiaire des constitutions cantonales). Du moment que le peuple a le pouvoir par définition, il n’a pas à combattre un autre pouvoir. Une image plus en phase avec l’esprit de la constitution est que le peuple souverain délègue les travaux législatifs à des représentants (pour d’évidentes raisons pratiques) mais conserve le pouvoir.

Une conséquence de cet esprit est qu’un refus par le peuple n’est pas vécu comme un échec personnel par les représentants, et cela ne provoque pas de démission. Le législatif doit simplement continuer à travailler pour améliorer sa proposition de texte.

Vous avez raison de dire que c’est par la représentation que la plupart des solutions se construisent, et vous avez encore raison qu’il faut inclure toutes les voix, donc celle du peuple.


Parce qu’il n’y a aucune autre action politique, à la disposition des citoyens, qui a un résultat garanti par la constitution. Les autres actions politiques que vous énumérez peuvent être simplement ignorées par le gouvernement. C’est bien malheureux, mais la réalité actuelle à propos de la réforme de la loi sur le travail montre bien le problème: le président peut même se permettre de dire « je serai d’une détermination absolue, et je ne céderai rien ».

Savoir agir c’est quand même important, ça ouvre l’esprit en permettant de penser à d’autres choses que « comment agir ».

Effectivement. On observe bien ce phénomène après chaque votation, avec des personnalités (média, experts, élus, comité, etc…) qui tentent d’interpréter un résultat en se perdant en conjectures…

Je déterre ce fil pour y ajouter une émission de France Culture avec Loïc Blondiaux qui évoque la prise en compte des émotions dans les dispositifs de participation citoyenne :

edit : le livre dont il parle