"Réinventer les organisations", Frédéric Laloux

À travers un livre passionnant (http://www.reinventingorganizations.com/) et plusieurs conférences (Conference "Reinventing Organizations" en français (Flagey, Bruxelles) - YouTube), Frédéric Laloux explore une autre manière de s’organiser à grande échelle. Son étude de terrain auprès d’entreprises très variées met en lumière un type d’organisation qui s’est complètement défait du schéma pyramidal prédominant actuellement, sans pour autant utiliser le schéma démocratique.

Si le livre se concentre sur des cas concrets éloignés de la question politique, je pense qu’il y a un bon nombre d’éléments qu’il vaut la peine d’explorer en terme sociétal (et c’est à peine si j’ose rêver d’une société qui évoluerait de la même manière que ces entreprises).

Je note entre autres:

  • le premier chapitre du livre, qui met en lumière un lien très intéressant entre le niveau de conscience individuel (peur de manquer, compétition et agressivité, égocentrisme/égotisme, fraternité, confiance, etc) et la manière de s’organiser en groupe (caste et clans, système hiérarchique figé de type religieux, entreprise analogue à une machine, entreprise « familiale », entreprise vivante).

  • En plus de développer des idées très intéressantes (comme l’auto-organisation, l’importance du sens que l’on donne à son travail et celle de pouvoir être un humain « complet » en toutes circonstances), c’est un livre très concret qui met en lumière des pratiques qui ont fait leurs preuves.

Parmi ces pratiques, j’en souligne une: celle de la prise de décision. Dans ces entreprises, la hiérarchie structurelle n’existe pas, et chaque personne faisant partie de l’entreprise a le pouvoir de prendre des décisions et de les mettre en action (de l’achat d’une imprimante à l’expansion de l’entreprise dans un nouveau pays, en passant par la location d’un hélicoptère pour livrer la marchandise à temps), sans en référer à un/e supérieur (inexistant).

Une seule règle pour cela: suivre une procédure simple appelée « le processus de conseil (advice process) ». Chaque personne qui a envie de faire une action, proposer quelque chose, ou qui repère un problème qui nécessite réparation, se doit de

  1. faire quelque chose (prendre la responsabilité de suivre le problème ou de mener à bien l’idée de départ).
  2. consulter toutes les personnes qui ont de l’expertise par rapport à la question, et/ou qui seront touchées par la modification avant d’effectuer toute action.

La grande différence avec un processus démocratique, c’est que les personnes consultées n’ont pas de pouvoir de décision. Seule la (ou les) personnes ayant initié l’action poursuivent jusqu’au bout et adaptent ou non leur décision en fonction des conseils qu’ils ont reçu.

Beaucoup plus dynamique qu’un système basé sur le consensus, cette manière de fonctionner nécessite de remettre en lumière nombre de suppositions non-dites qui sous-tendent nos relations humains: est-ce que je pars du principe que mes employés/citoyens/voisins sont des voleurs, paresseux qu’il faut contrôler, éduquer, motiver? Ou bien est-ce que je pense qu’ils sont plein de bonne volonté, d’énergie et d’envie d’améliorer leur vie et celle de leur prochain, qu’ils sont capables de prendre des décisions et d’en assumer les conséquences, que je peux leur faire confiance?

j’ai écouté la vidéo, qui est en français :smile: L’auteur de ce livre dévoile beaucoup d’exemples concrets, c’est très motivant.

Je regrette qu’il passe vite sur la notion de Communication Non Violente alors que ce mode de communication change tout par rapport à des boîtes où le cynisme est présent jusque dans la communication interne. Je souligne ce fait : pour garantir l’utilisation de la Communication Non Violente, un nouveau métier a vu le jour, celui de facilitateur, œuvrant en réunion en reformulant des phrases, ou en demandant de reformuler des phrases à son émetteur ou bien au groupe entier de proposer une reformulation.

Ce facilitateur, je l’ai découvert dans un livre (dont je parle dans le débat -la démocratie, seulement en politique-), ce livre se concentre sur la sociocratie (un des systèmes qu’il englobe avec d’autres). Ce système permet de trouver un consensus (nommé consentement par les fondateurs de ce système). Frédéric Laloux le qualifie le consensus habituelle de « mou » (perso, je n’ai jamais utilisé de règles précises pour des réunions, habituellement, c’est plutôt en mode anarchie et concourt d’égo que j’ai vécu les débats en réunion).

A la fin de la vidéo, Frédéric Laloux trouve quelques limites et/ou conditions à l’application des systèmes dont il parle dans son exposé. Je me sens un peu déçu qu’il parle surtout de valeurs (bien qu’elles soient enthousiasmantes), et il donne peu de méthodes ou de protocoles à expérimenter.

Frédéric Laloux ne donne pas de mode d’emploi de création de règles en réunion, et je ne trouve pas beaucoup de sens dans ce manque, surtout par rapport à la sociocratie où un accord dans un groupe n’est voté qu’à l’unanimité et après négociation de tout le monde, grâce au facilitateur et à 4 autres personnes avec des fonctions complémentaires.

J’aimerais savoir s’il donne un/ou des modes d’emploi pour appliquer les changements dans son livre?

Son livre décrit plus précisément les techniques mises en œuvre dans les entreprises qu’il a explorées, et en ce sens peut être utilisé comme mode d’emploi. J’ai trouvé ce livre agréablement pragmatique, avec beaucoup d’exemples concrets et une belle lucidité sur ce qui peut et ne peut pas marcher.

Il parle entre autres des méthodes de résolution des conflits qui sont mises en place et enseignées à toute personne rejoignant l’entreprise (la communication non violente en faisant parfois partie). Il aborde également les « bonnes habitudes » prises en début de réunion ou durant celle-ci afin de minimiser au maximum les débats stériles tenus uniquement à partir des égos de chacun (en introduisant par exemple une minute de silence au début de la réunion, un « sonneur de cloche » qui intervient à chaque fois que la discussion dérive selon lui, ouvrir la séance en partageant une histoire personnelle, etc).

Une partie très intéressante du livre décrit également les ingrédients qui sont selon lui nécessaires à la mise en place et la réussite d’une telle structure.

À noter: le livre disponible « gratuitement » en téléchargement, sur le principe de contribuer financièrement après coup en fonction de ce que la lecture nous a apporté personnellement. Disponible uniquement en anglais il me semble, malheureusement.

Son livre ouvre également la porte à d’autres explorations (que je n’ai pas encore faites), notamment du côté de l’holacracy (qui se place vraiment en tant que « mode d’emploi » pour le coup).

Me voilà vraiment rassuré par votre commentaire détaillé :smile_cat:,
En attendant la traduction, je vais me plonger dans sa version en anglais, généreusement consultable avant son achat (merci de l’avoir souligné).