Car si le fait de voter directement sur les textes importants est un gros avantage, ce n’est à mon avis pas suffisant pour obtenir un système politique quelque peu stable.
Une des particularités importantes de la politique Suisse est que le gouvernement fédéral a finalement assez peu de pouvoir en comparaison de bien d’autres pays. C’est la conséquence du fait que le gouvernement fédéral ne se voit confié par les cantons que les tâches que lesdits contons sont majoritairement d’accord de lui transférer. Mais c’est aussi la conséquence du fait que le gouvernement fédéral est constitué d’un collège de 7 conseillers fédéraux provenant de plusieurs partis. Il n’y a donc pas un seul endroit où le pouvoir d’une personne ou d’un parti est trop grand. À tout les niveaux, le système politique est fait pour forcer le plus possible les partis à faire des compromis.
Dans le cas des élections du parlement fédéral, l’élection des parlementaires est faite directement par le peuple, ce qui permet une assez bonne représentation des partis. Ce sont ensuite les parlementaires élus qui élisent les 7 conseillers fédéraux. Il est ici intéressant d’observer que le gouvernement et élu par le parlement. Il n’y a donc pas de président et/ou de premier ministre avec un super pouvoir sur la sélection de « ses » ministres qu’il peu limoger à sa guise. Dans le conseil fédéral il n’y a pas de hiérarchie et il est sommé d’agir en collégialité, c’est à dire que tout les conseillers défendent le résultat d’un vote du conseil fédéral, même ceux qui ont voté contre. Les quelques conseillers fédéraux qui n’ont pas suivit cette règle ont été rapidement remis à l’ordre ou n’ont pas été réélus. Le résultat est que le renouvellement du gouvernement est la plupart du temps une routine chaque 4 années qui suit progressivement les changements d’orientation politique des citoyens, automatiquement, sans réelle discontinuité: Même si 1 ou 2 sièges changent de parti, ce n’est jamais que 1 ou 2 sur 7. Comme l’élection est faite par le parlement et que de toute façon tout les partis principaux y trouverons une place, il n’y a pas besoin de faire des campagnes politiques avec tout les meetings et battage médiatiques hallucinants que l’on peut voir en France ou aux USA. C’est calme et efficace, sans cassure et sans frustration. Pour faire joli, le parlement élit chaque année un « président » parmi les 7 conseillers fédéraux, traditionnellement par ordre d’ancienneté. C’est une procédure qui dure le temps d’un simple vote, sans le moindre suspense. Le président est celui qui ouvre les séances du conseil fédéral et qui effectue la représentation de la Suisse dans les circonstances où le protocole exige un président. Rien à voir avec un président Français ou des USA. Détail croustillant, il n’y a même pas besoin d’être candidat pour être élu conseiller fédéral! Et oui, c’est déjà arrivé.
Un point intéressant dans l’expérience de la démocratie Suisse, est le fait que le peuple a plusieurs outils pour contredire le parlement ou le gouvernement. Si les modifications de la constitution (qui va dans bien des détails) doivent obligatoirement être adoptées par une votation populaire, les modifications des lois d’applications peuvent être faites directement par le parlement. ou par des décrets prononcés par le gouvernement. Pour éviter que la constitution ne se vide progressivement de sa substance et ne soit remplacée par une foule de lois d’application et de décrets, le peuple peut attaquer en référendum toutes modifications dans un certain délais en provoquant une votation pour que l’adoption soit faite par le peuple. En cas de refus pas le peuple, la modification est purement annulée. Finalement le peuple peut lui-même créer le texte d’une modification et le soumettre pour une adoption par le peuple. C’est le fameux droit d’initiative populaire. Probablement l’outil qui fait couler le plus d’encre, mais c’est aussi le plus puissant de tous lorsque toute la clique politique n’a pas le courage de prendre une décision difficile ou du moins le courage d’en débattre.
A mon sens l’initiative populaire joue un peu le même rôle que les lanceurs d’alerte. Il y a des sujets qui sont trop délicats ou ingrats pour avancer dans l’échiquier politique. Quand ça dure trop longtemps, un parti, une association , ou même parfois un seul citoyen, lance un texte d’initiative populaire. Si assez de citoyens sont intéressés au sujet, la votation sera effectuée. Pour bon nombre d’initiants, Ça se termine assez vite car ils ne trouvent pas assez de personnes intéressées dans les temps. L’utilité est que les initiants peuvent prendre conscience à ce stade qu’ils se sont fait des illusions, sans encombrer les parlements. La seconde utilité est que les autres prennent acte de la situation et cela enrichit la connaissance sur la position de la population. SI l’initiative est validée, cela permet au parlement et au gouvernement de prendre conscience qu’un sujet préoccupe la population. A ce stade ils peuvent créer un contre projet au texte de l’initiative. Parfois le contre-projet est bien meilleur que le texte de l’initiative et les initiants acceptent de retirer l’initiative pour que seul le conte-projet sont mis en votation populaire. Assez rarement on doit voter à la fois sur le texte de l’initiative et sur le texte du contre-projet, plus une indication duquel des deux textes est préféré en cas de double acceptation. Cela oblige le parlement à produire un travail que qualité, car il est en concurrence avec le peuple qui va in fine décider de l’issue. Enfin quand une initiative échoue, c’est tout de même un enrichissement, car elle a ouvert les débats sur un nouveau sujet qui préoccupe une partie de la population, elle a potentiellement permis de créer un contre-projet meilleur ou d’être prise en compte dans des décisions proche du sujet, mais dans tout les cas elle permet à chacun de prendre acte de la position de la population sur un sujet.
Et ça c’est vraiment le point le plus critique dans une démocratie qui fonctionne:
J’espère que le travail de #DataGueule vas couvrir certains de ces aspects. En voyageant en France, je parle volontiers politique et il n’est pas rare que le système politique Suisse soit assez méconnu. Pourtant, après explications, bien des points trouvent une oreille attentive. Mais la résignation prend systématiquement le dessus, sans exception jusqu’ici malheureusement. L’argument qui ressort presque systématiquement: Ça ne peut pas marcher en France car c’est une toute autre culture. Il n’y a pas de doute sur le fait que la culture est différente, mais je n’ai jamais compris pourquoi c’est un argument pour ne pas tenter d’utiliser des outils qui ont fait leur preuves ailleurs. La Suisse est composée de 4 régions linguistiques avec des cultures différentes en interne. Elle s’est progressivement agrandie en accueillant de nouveaux cantons qui avaient donc des cultures différentes. Cela n’empêche pas l’évolution du système politique.
Je termine en rappelant que la constitution Suisse à été principalement créé en 1848, après une guerre civile, en s’inspirant des constitutions de la France et des USA, deux pays alors à l’avant garde de l’innovation politique. Certains cantons ont alors insisté pour que le gouvernement soit composé d’un collège de plusieurs personnes car cela fonctionnait traditionnellement très bien pour leur gouvernement cantonal. C’est ainsi qu’est née l’idée d’un gouvernement sous la forme d’un conseil fédéral. Je pense que c’était une bonne idée.