Discours de la servitude volontaire - Étienne de la Boétie

Bonjour,

Qu’ils soient modernes ou antiques, nos systèmes politiques requièrent une condition essentielle à leurs mise en pratique : l’obéissance (plus ou moins consciente selon l’époque, le pays…) des classes qui n’ont pas le pouvoir, grossièrement appelées les classes inférieures.

Et la question de l’obéissance est justement un sujet dont traite La Boétie dans cette œuvre. Il y décrit les mécanismes fréquemment utilisés par les politiques déjà au 16ème siècle, manipulant une population qui, finalement, se complaît dans sa soumission. Car oui, selon lui, on peut parvenir à éveiller une certaine part de la population, l’éduquer à percevoir ces rouages, à s’en protéger, mais une autre, plus influençable et plus fragile, aura toujours « besoin » d’être asservi pour se sentir guidée et protégée.

Selon lui, on ne pourra alors peut être jamais atteindre cet idéal de société équitable et politisé que l’on aimerait tous atteindre dans ce forum je suppose, à cause de cette partie de la population qui continuera d’exister. Il y aura toujours des gens qui naîtront dans la peur, avec des parents irresponsables ou ayant un petit esprit critique, ou grandissant entouré d’amis matérialistes, voire manipulateurs. Cela va sans dire que c’est en grandissant dans ces conditions que l’on développe des pathologies dont se servent ces fameuses têtes pensantes mal intentionnées… Résultat : servitude inconsciente, culte du chef, servitude volontaire etc.

Je considère que c’est vraiment un des sujets clés pour comprendre comment on en est arrivé à se faire marcher dessus explicitement il y a quelques siècles, et plus indirectement aujourd’hui, pourquoi on ne parvient pas à réunir tout le monde etc… Et je reste convaincu que c’est l’origine de l’énorme difficulté que nous allons avoir à remettre la politique au cœur de notre vie.

Quoi qu’il en soit, je pense que la piste de l’inclinaison naturelle à la soumission, en tant que contre exemple, est intéressante à exploiter. Mais il ne faudrait évidemment pas s’attarder sur une telle question pour ne pas sombrer dans le pessimisme.

Bonne continuation à l’équipe et un gros force & honneur aux insurgés de ce forum.
Big up,
Val.

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Bonjour,

Je rebondit sur ton analyse de la Boétie ou « selon lui, on peut parvenir à éveiller une certaine part de la population, l’éduquer à percevoir ces rouages, à s’en protéger, mais une autre, plus influençable et plus fragile, aura toujours « besoin » d’être asservi pour se sentir guidée et protégée ».

Cela m’a fait penser à l’allégorie de la caverne par Platon: Allégorie de la caverne — Wikipédia

Ainsi l’homme ayant été traîné de force (!) à l’extérieur, une fois qu’il revient dans la caverne pour expliquer aux autres ce qu’il a vu: « Mais ceux-ci, incapables d’imaginer ce qui lui est arrivé, le recevront très mal et refuseront de le croire : « Ne le tueront-ils pas ? » ».

Effectivement cette pensée est assez fataliste! Comme l’inclinaison à la soumission naturelle.

Maintenant à savoir comment faire pour en sortir, ta question « pourquoi on ne parvient pas à réunir tout le monde », on tente d’y répondre depuis la Boétie en fait.

Et la démocratie a été mis en place pour y répondre. A force de militantisme. Elle tente de résoudre le problème en politique de « sauver tout le monde », de « contenter tout le monde ». Elle s’intéresse donc aux minorités. Que chacun ait la possibilité de faire exprimer sa voix, de créer une société qui prend en compte les besoins de tout le monde, de laisser place à l’intérêt commun face à l’intérêt personnel. Cela est utopique. C’est pourquoi nous ne pouvons que nous en approcher. Ou bien nous en éloigner… C’est un combat de tous les jours que de sortir de la servitude volontaire, quitte à éblouir douloureusement cette partie de la population, pour ensuite la laisser s’exprimer.

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Je n’ai pas lu La Boétie mais je vais vite remédier à cela je viens de l’acheter après avoir lu ce message.

Ça m’a fait penser par association d’idée au très bon et très court texte de Antonio Gramsci : Je hais les indifférents.

Et ça m’a fait pensé aussi pour les plus jeune à l’excellent album jeunesse de Mario Ramos : Le petit Guili.
A mettre dans les mains de tout les enfants (de 3 ou 4 ans à 8 ou 9 ans ?) et de leur parents.

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Ne peut-on pas déjà imaginer que la démocratie puisse laisser un espace d’expression et de participation beaucoup plus large à tous ceux qui ont l’envie et la capacité de le faire. Ce serait déjà un pas de géant vers une démocratie moins « hors-sol ». Ensuite la question de la représentativité de cet échantillon reste entière, ou comment créer les conditions d’une démocratie par et pour tous. Mais sur cette voie la route est longue à mon avis, et il est peu probable que le système actuel s’engage volontairement sur cette voie de son propre détricotage…

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Je suis entièrement d’accord avec ton message Sinkwes.
Mais je pensais à quelque chose d’encore plus insidieux que cela quand je faisais référence à la servitude volontaire.
Effectivement la démocratie que tente d’atteindre nos politiques vise à donner le micro à toutes les minorités existantes. Mais lorsque celles ci vont le faire, prendre la parole et exprimer leurs points de vues concernant ceci ou cela, ne penses-tu pas qu’elles vont être influencées ? Certes on va leur donner le micro, mais si je suis un politique un peu malin, je fais en sorte que cette personne me dise ce que je veux entendre.
Exemple : les personnes qui défendent les produits laitiers, étant influencés par les pub et études biaisées de ces mêmes lobby du lait. C’est malin, et c’est comme ça qu’on se forme son armée de sbires, et étant pourtant en démocratie ces sbires vont en réalité servir la parole d’une seule personne, ou d’un seul principe, ici lait = bon pour la santé.

Moi même, essayant pourtant de me séparer coûte que coûte des idées reçus que l’on m’a inculquées depuis mon enfance, il doit forcément m’arriver par moment de défendre une cause car je m’y fie aveuglément… Certainement dû à certains traumatismes, une rancœur envers quelque chose.
Et c’est typiquement cela qu’il me paraît impossible d’éradiquer. C’est déjà un calvaire de faite prendre du recul sur une soumission inconsciente d’un sujet averti à une personne ou à un principe, mais alors d’une personne non politisée et non avertie… J’en parle même pas.

Voilà en quoi, selon moi, la servitude volontaire, inconsciente ou non, est le poison d’un démocratie utopiquement réelle, c’est le cancer de notre liberté de pensée, condition nécessaire à la mise en place d’une réelle démocratie.

Val

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^^ Je me doutai bien que cette section ferait naître des débats aussi ici.
D’accords, je crois comprendre de ce que tu veux parler. Corriges moi si je me trompe.

Tu parles dans un premier temps de la servitude volontaire consciente, découlant de la manipulation de « personnalités » politique, qui se serve de la démocratie représentative actuelle pour arriver à leurs fins. Je te renvoie à mon texte que j’ai posté ici et qui te rejoint.

Effectivement, la politique « démocratique » actuelle est représentative. Nos candidats se présente à la présidence pour acquérir le pouvoir, et ce pouvoir est utilisé à des fins personnels et anti démocratique. Et pour accéder à ce pouvoir, tout les coups bas sont permis, manipulation, mensonges/promesses, ou encore jeter le discrédit en révélant des affaires de ses « concurrents ». Nous élisons des « rois », et une fois élus nous n’avons plus la capacité de débattre des lois mis en place. Mais ceci est un autre sujet (#Datagueule, la démocratie ne s’arrête pas aux urnes). La servitude volontaire c’est accepter cette « royauté » et y obéir sans débattre.

Puis dans un second temps tu parles de la servitude volontaire inconsciente, et je te rejoins, extrêmement insidieuse, et je comprends quand tu dit que c’est la pire! Et qui justifie très souvent la première d’ailleurs! La servitude volontaire inconsciente venant du conditionnement. L’expérience, notre vécu, notre éducation… nous conditionne, nous moule d’une certaine façon. Et peut devenir comme tu dit, un cancer pour notre liberté de pensée. Si on nous apprend depuis tout petit que la société la plus juste c’est notre démocratie représentative et qu’il n’y a pas mieux, alors si on ne remet pas en question cette dernière… nous obéirons et nous permettrons à ce que ce système perdure.

Mais heureusement, nous pouvons nous libérer de notre conditionnement! Quoi qu’il arrive, nous avons toujours le choix. Nous pouvons raisonner sur ce que nous avons vécu et agir pour qu’elle ne nous conditionne pas toute notre vie, et nous pouvons même partager cette découverte à d’autres!

Le conditionnement n’est pas une fatalité. C’est important de se rendre compte que nous pouvons agir. Que nous pouvons nous en libérer.

Et toutes les révolutions ont d’ailleurs commencé comme cela. Par une prise de conscience… de ce conditionnement.

Sinkwes

Soumission et servitude volontaire est le sujet de philosophie en classe préparatoire scientifique cette année. Au programme on y retrouve le Discours de la servitude volontaire de La Boétie. Ce fut l’occasion pour les élèves de se plonger en sujet dans des textes débattant de l’état de soumission.

Voici des exemples de textes à ce propos si cela vous intéresse :

De la démocratie en Amérique Alexis de Tocqueville
Méditation sur l’obéissance et la liberté Simone Weil ou encore
Il est permis d’obéir. L’obéissance n’est pas la soumission Daniel Marcelli
Pour une morale de l’ambiguïté Simone de Beauvoir

Bonsoir @rumbacs

ta réflexion sur le texte de Etienne de La Boétie est évidemment un excellent exemple concernant la démocratie, notamment le fameux malencontre (le point auquel nous avons sombré dans la servitude volontaire), sa réflexion sur la tyrannie douce qui profite de l’attrait de ce qu’il appelle le gros populat pour ses concupiscences et surtout sur l’amitié. Néanmoins ce texte est fondamentalement pessimiste puisque tout le monde est mauvais en potentiel, quiconque que l’on dresserait au dessus du peuple pourra être mauvais en puissance. Cela pose tout le problème de la « démocratie représentative » : je cède à quelqu’un ma capacité de décider pour moi, je m’infantilise et je m’aliène mes responsabilités (je reprends en très gros certains éléments de réflexion de La Boétie et je m’excuse de ne pas pouvoir mieux le faire, rien ne remplacera les mots de La Boétie lui même).

Tu fais bien de soulever la question de la culture et de la coutume qui sont la source de la perpétuation de la soumission au travers des générations, or aujourd’hui la culture, l’éducation ou pour mieux laisser entrevoir mon idée, toutes les cultures et éducations peuvent être trouvées avec une facilité déconcertante, tout se trouve et le manque d’esprit critique, de prise de recul peut ancrer d’autant plus profondément des idées néfastes chez certains. Je suis de ceux qui soutiennent la thèse que l’on peut faire comprendre n’importe quoi à n’importe qui, en un jour, en un an, en cinquante ans… ce que je veux dire par là c’est que n’importe qui peut apprendre n’importe quoi. Le problème apparaît quand on présente des intox comme des vérités à savoir… Corrompre l’éducation même est un rappel direct aux arguments de La Boétie et on peut trouver aujourd’hui n’importe quel cours sur n’importe quoi… et trouver des sources sûres devient un réel défi, d’autant plus complexe sans esprit critique.

La réflexion de La Boétie est centrale dans les débats de pouvoir et de soumission (qui vont toujours de paire, ne l’oublions pas) et je me réjouis de la retrouver ici. Merci.

p.-s. : il s’agit de la première fois que je poste quelque chose, je ne sais pas si je m’y prends bien

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J’imagine qu’un gros travail peut-être fait sur le développement de l’esprit critique à l’école, et que l’Education Nationale a un immense rôle à jouer ici.

Et il faudrait retrouver des médias sérieux qui arrêtent de véhiculer des psychoses/idées reçues etc…